
Farid Bentoumi, le cinéma à fond la forme
Natif de Modane mais Montreuillois d’adoption, ce réalisateur de 40 ans a signé cette année « Good luck Algeria », un beau premier long-métrage sur la richesse inhérente à toute double culture.
Il est venu au rendez-vous à vélo, pas à skis. La faute à pas de neige sans doute. Ou alors la preuve que ce Savoyard devant l’éternel, mais installé depuis 12 ans maintenant à Montreuil, s’est laissé gagner par la boboïtude de la ville à la pêche, qui concurrence Paris pour sa concentration de cinéastes au mètre carré.
S’il est ici question de skis, c’est qu’ils ont laissé une trace durable dans le premier long-métrage de Farid Bentoumi, « Good luck Algeria », sorti en mars 2016. L’histoire d’un Franco-Algérien qui participe à l’épreuve de ski de fond aux Jeux olympiques d’hiver sous les couleurs de l’Algérie pour sauver son entreprise de skis « made in France ».
« J’ai voulu faire un film qui batte en brèche tous ces discours pernicieux sur l’identité nationale. »
Pour cette réflexion intelligente sur ce qui fait un héritage culturel, Farid Bentoumi n’a pas eu à chercher bien loin. Ce fils né d’un ouvrier algérien établi depuis maintenant 50 ans à Albertville et d’une institutrice française a puisé directement dans l’histoire de sa famille, celle d’une « mixité heureuse ». Autre apport familial pour le film : en 2006, son propre frère, Noureddine, a bel et bien porté la combinaison de l’Algérie en ski de fond aux Jeux de Turin, donnant là à Farid le point de départ de son récit.
« J’ai voulu faire un film qui batte en brèche tous ces discours pernicieux sur l’identité nationale. Entendre qu’il y a aujourd’hui un problème d’intégration culturelle pour des jeunes issus de l’immigration, ce n’est plus possible. Tout simplement parce que cette génération est née en France ! Si je fais ce genre de films, c’est aussi pour dire à certains enfants d’immigrés qui ne se sentent pas bien en France qu’ils ont toute leur place ici et que leurs parents ont voulu leur donner cette chance-là. », ponctue Farid Bentoumi.
Cette chance, le jeune homme ne s’est pas privé de la saisir. Ski-études à Albertville, prépa à Lyon, montée à l’Essec de Paris, MBA au Canada, avant une volte complète. « Tout à coup, je me suis dit que je ne pouvais pas faire un métier consistant à choisir la couleur des bouteilles de shampooing. Je me suis enfermé chez moi pendant deux jours et j’en suis ressorti pour aller bosser dans le théâtre.»
Depuis, le quadra s’épanouit dans l’écriture de courts ou long-métrages défrichant des thèmes au coeur de l’actualité : l’immigration, la difficulté pour la France d’aujourd’hui de se penser multiculturelle, le communautarisme aussi. Dans « Un métier bien », Farid Bentoumi tournait justement en dérision les marchands du temple et le business fait autour de l’Islam radical. Ce court-métrage, pré-nominé cette année aux Césars, a d’ailleurs été tourné intégralement en Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers et Saint-Ouen. « Alors qu’on avait des difficultés de décor, tout s’était débloqué grâce à la solidarité des gens, se souvient-il. Un tel nous avait recommandé un tel qui nous avait filé un coup de main. C’est ce que j’aime aussi dans ce département : cette ambiance de village, d’entraide, qu’on ne retrouve assurément pas à Paris ».
« Ce département est souvent décrié, alors qu’il n’y a pas de raisons objectives à ça.
Pour ce natif de Modane mais Montreuillois d’adoption, il était donc tout à fait naturel de répondre à l’appel du In Seine-Saint-Denis. « Ce département est souvent décrié, alors qu’il n’y a pas de raisons objectives à ça. La preuve, c’est qu’il y a aujourd’hui plein d’entreprises qui décident de s’y implanter. Et je pense qu’il faut prolonger cette énergie-là en montrant que dans les domaines de la culture, des associations aussi, il y a des choses qui se font. »
Et Farid Bentoumi joint le geste à la parole. Endurant dans l’effort comme son héros de ski de fond, le réalisateur attaque déjà la prochaine montée. Cette fois, il délaissera le champ de la comédie pour raconter une histoire de corruption et de collusion entre les milieux économique et politique, basée sur des faits réels. « Et comme dans mes précédents films, le protagoniste sera un jeune homme issu de l’immigration », dévoile le réalisateur. Pour tordre la formule d’une célèbre marque de sports, on peut être sûr qu’il y aura à la fois fond et forme.