Laurence Lascary, première de cordée

Originaire de Bobigny, cette jeune femme a fondé sa société de production, «De l’autre côté du périph », en 2008. Face à un cinéma qui peine encore à s’ouvrir à la diversité, elle veut donner leur chance aux jeunes talents des quartiers populaires.

Durant certains moments de l’interview, on a du mal à décoller Laurence Lascary de son portable. « Faut m’excuser, mais aujourd’hui, la bande-annonce de L’Ascension est présentée à 400 exploitants de salle. Et je veux connaître leur réaction ! » « L’Ascension », c’est le tout premier long-métrage produit par DACP, alias « De l’autre côté du périph », en 8 ans d’existence. Adapté d’une histoire vraie vécue par le journaliste Nadir Dendoune, originaire de L’Ile-Saint-Denis, il raconte la détermination et les astuces employées par un jeune homme issu de la banlieue pour partir à la conquête de l’Everest (sortie le 8 février 2017).

 

« Tu peux être qui tu as envie d’être, il faut juste se lancer »

Avec le recul, Laurence Lascary mesure à quel point cette histoire peut s’appliquer à sa propre boîte de production. « Quand Nadir m’a proposé de produire son projet, j’ai eu un temps d’hésitation. Choisir pour notre premier long-métrage un tournage avec des scènes au Népal et dans les Alpes, c’était notre Everest à nous ! Et puis j’ai foncé parce que j’aimais le message du film. Dire à quelqu’un « tu peux être qui tu as envie d’être, il faut juste se lancer », c’est exactement ce dont ont besoin nos jeunes. »
C’est aussi somme toute ce qu’a eu besoin d’entendre la principale intéressée quand, dans les années 2000, elle a commencé à caresser le rêve de fonder sa propre société de production.  Car même si la jeune femme, biberonnée aux séances du Magic Cinéma de Bobigny, a toujours voulu travailler dans l’audiovisuel, elle sait les doutes qui peuvent parfois apparaître, surtout quand vous n’avez pas le bon réseau. Elle-même se souvient avoir donné dans l’autocensure, surtout qu’un master de sciences de gestion aurait pu suffire à son bonheur.

 

« Ce film est vraiment emblématique de ce que je veux faire : il ne juge pas, mais n’embellit pas non plus »

« Mais j’ai toujours gardé confiance parce que dès le départ, je m’étais posé la question de ma légitimité, du regard que je pouvais apporter à la société française. » A une époque où les banlieues s’embrasent et où le cinéma ne propose pas beaucoup de films fouillés sur les quartiers populaires, la réponse est évidente : « je voulais mettre en avant des œuvres qui traiteraient de vivre-ensemble, du sort des quartiers populaires, bref emmener les gens de l’autre côté du périph. »
Le nom de la société est emprunté à un documentaire des Tavernier, père et fils, sur le quartier des Grands Pêchers de Montreuil. « Pour moi, ce film est un événement fondateur dans l’histoire de la représentation des quartiers populaires en France. C’est la première fois que je voyais un documentariste s’installer au milieu d’un quartier et en ramener des portraits, des histoires. Ce film est vraiment emblématique de ce que je veux faire : il ne juge pas, mais n’embellit pas non plus », s’enthousiasme Laurence Lascary.
Huit ans plus tard et après un passage de Montreuil à la Cité du Cinéma de Saint-Denis, on peut dire que DACP a déjà bien balisé le territoire au-delà du périph. « L’Ecole des ambassadeurs », « Les marches de la liberté », « Nos mères, nos daronnes » : autant de documentaires qui donnent la parole aux habitants des quartiers populaires et montrent une France peu ou pas représentée sur nos écrans. A cela s’ajoutent de beaux projets participatifs comme « Dans mon hall ». Cette série de 10 courts-métrages proposait à 10 réalisateurs différents de s’installer pendant 2 semaines dans un quartier populaire de France et d’en raconter la vie en associant les habitants au tournage.
« A Aulnay, où nous avions aussi posé nos valises, les habitants se sont ensuite saisis du projet en tournant eux-mêmes leur propre court-métrage. Ils nous ont même envoyé leurs productions. C’est précisément pour ça que je fais ce métier, pour faire boule de neige ». Hormis le Plateau d’Avron, on ne peut pas dire que la Seine-Saint-Denis ait beaucoup de reliefs, mais il semble qu’il y ait quand même dans le 93 un sacré paquet d’alpinistes.

Christophe Lehousse