Fodil Drici, un ambassadeur du In au « dessein » animé…

Fodil Drici, un ambassadeur du In au « dessein » animé…

Peintre, réalisateur, photographe, ce Nocéen d’origine aime explorer toutes les facettes de l’art. Et multiplie les projets avec l’ambition de jouer les « passeurs et de porter la voix des habitants de « sa » Seine-Saint-Denis. »

Dans la moiteur de l’été olympique, Fodil Drici s’est glissé, pour les besoins de la photographie de ce portrait d’ambassadeur du In, dans l’épaisseur luxuriante des Serres du Jardin des Plantes. Un rôle qui lui va bien car l’artiste qui affiche sur la palette de son art, des talents de photographe, de peintre ou de sculpteur, avoue sans détour qu’il aime se multiplier : « Ce côté caméléon me vient peut-être de l’enfance où je me rêvais tour à tour dans différents métiers. Un peu tout et n’importe quoi, sourit-il au milieu des grands arbres qui reconstituent l’atmosphère d’une forêt tropicale. Un jour, j’étais escrimeur, l’autre paléontologue, puis volcanologue ou explorateur… »

Partir en exploration, c’est d’ailleurs un peu notre état d’esprit au moment où surgit notre tour de défricher ce qui se cache derrière la toison abondante plantée sur le crâne de Fodil Drici, 29 ans.

« Première visite à la FIAC, je n’ai rien compris ! »

Alors, autant commencer par le début… Au départ de tout ou presque, il y a un jeune homme grandi, cité des Fauvettes, à Neuilly-sur-Marne au milieu de trois femmes -sa mère et ses deux sœurs cadettes- « qui ne sent pas franchement de vocation artistique, même si je m’intéresse à plein de choses. Et puis, à 17 ans, j’assiste à ma première expo à la Foire Internationale d’Art Contemporain. Je sors de là, je n’ai rien compris, mais je veux comprendre ! Alors, je me dis pourquoi pas les Beaux-Arts ou des écoles d’animation, un domaine qui m’intéresse, mais c’est en dehors de mes moyens et surtout je n’ai pas vraiment les codes pour entrer dans ce milieu… »

Qu’importe, à défaut de codes, Fodil va jouer la carte du système D en jouant les modèles aux ateliers des Beaux-Arts de la Ville de Paris où il prend le sillage du plasticien et photographe Olivier di Pizio, professeur dans cette même institution.

Bâton de pèlerin.

Fort de ses premières bases acquises à Paris, il choisit alors de quitter sa base séquano-dionysienne pour découvrir le monde et se former. Première étape à Bruxelles où il étudie pendant une année à l’École supérieure des arts Saint-Luc et se forme aux techniques de l’illustration. Il s’envole ensuite vers le Japon « parce que c’était un rêve d’enfant de découvrir ce pays. » L’espace de trois mois, sa bonne étoile lui permet de rencontrer le plasticien-star Takashi Murakami, mais aussi de fréquenter l’Université des arts de Tokyo et de se lier d’amitié avec un de ses colocataires, un Coréen, dessinateur dans un studio d’animation. « A force de le questionner, de l’entendre parler de son métier, je me suis convaincu que je voulais faire ce qu’il faisait… »

Nouvel envol pour le Luxembourg, un Duché qui concentre un grand nombre de studios d’animation et l’accueille dans son Lycée des arts et métiers. « Une école où lors de la première année, on ne touche absolument pas à la tablette graphique ou à l’ordinateur, décrit-il. Le travail se fait exclusivement sur papier, vraiment à l’ancienne : j’ai adoré et c’est surtout très formateur. »

Retour aux sources.

Diplômé d’un bachelor des Arts et métiers aux Luxembourg, Fodil reprend alors la direction, en 2020, de la Seine-Saint-Denis. Il s’installe à Sevran, devient étudiant au sein de Kourtrajmé, l’école du cinéma créée à Montfermeil par Ladj Ly, le réalisateur des Misérables. Six mois de formation qui l’amèneront en 2022 à livrer à la chaine de télévision Arte un court-métrage Grande Latte Disprezzo qui s’empare de la question du rapport des jeunes de Seine-Saint-Denis à la politique. Sept minutes intenses qui suivent les pas d’une jeune fille depuis la gare de Sevran-Beaudottes jusqu’à Paris, le jour du deuxième tour de la présidentielle de 2022 et mixent prises de vue réelles et techniques d’animation.

Une manière pour Fodil Drici de donner de l’écho à la voix des habitants de la Seine-Saint-Denis. Un travail créatif qu’il poursuit désormais en sillonnant le département afin de donner corps à ces derniers. Cette fois, il utilise la technique de la photogrammétrie qui est, en très résumé, l’art de convertir des photos ou vidéos en un modèle numérique 3D. « Mon projet, c’est de tisser des liens avec une multitude de personnes en Seine-Saint-Denis et de dessiner une carte sensible de ses habitants et de ses différents lieux, expose-t-il. En discutant avec les gens du 93, on découvre plein d’histoires, de parcours très différents, de revendications aussi : mon envie c’est vraiment d’ancrer leurs voix, leurs vies à travers de futurs expos. »

Lesquelles raconteront par exemple l’itinéraire de Vanessa, jeune femme maintes fois croisée sur un banc à Sevran. « Avec elle, j’ai souvent discuté du réchauffement climatique et de la peur de la fin du monde », rembobine Fodil.

De ces échanges naissent ensuite des grands formats qui composent de manière figurative « la façon dont les jeunes du 93 perçoivent leur futur. »

Un principe également éprouvé lorsque Fodil Drici a répondu, cet été, à une commande de Paris 2024 pour exposer sur le site olympique de La Concorde, une série de clichés autour de l’univers du skate. « Je suis allé voir des skateurs, amateurs et compétiteurs de haut niveau, à Montreuil, à Neuilly-Plaisance, mais je ne me suis pas contenté de les photographier. On a aussi beaucoup parlé, j’ai voulu comprendre qui ils étaient et très vite on a parlé de politique… »

De l’art d’être paléontologue.

Artiste aux multiples dimensions, Fodil Drici aime donc confronter son art, la façon dont il aborde chaque nouvelle création, à la sphère du politique : « L’art sert à ouvrir des discussions, dit-il. Je ne conçois pas l’art seulement pour la beauté. Et puis, j’aime être un passeur d’histoires, faire résonner des questionnements politiques. »

Voilà comment, après la séquence des émeutes urbaines de l’été 2023, il se met à documenter toujours avec l’instrument de la photogrammétrie « les espaces verts de Seine-Saint-Denis pour interroger la place de la nature en ville et plus largement la question de l’écologie. Tout est parti d’un parc à côté de chez moi à Sevran qui avait été saccagé, avec un bel arbre contre lequel je me reposais qui avait été calciné. Voir l’état de ce petit coin de nature, jusque-là préservé au milieu d’un univers très construit, a provoqué chez moi une petite angoisse… Alors, j’ai commencé à scanner les plantes de Seine-Saint-Denis avec la photogrammétrie, à faire des « archivages de la respiration. » Dans mes disques durs, j’ai des téraoctets en pagaille qui documentent la végétation de Seine-Saint-Denis, mais aussi les changements du territoire liés aux constructions du Grand Paris et à l’effet des Jeux. »

A bien y réfléchir, Fodil Drici est finalement aujourd’hui dans la peau, d’une certaine manière, du paléontologue qu’il avait rêvé, enfant, de devenir…

 

Frédéric Haxo

Un talent In Seine-Saint-Denis à découvrir à la Galerie du 19M

Une petite partie de l’art de Fodil Drici sera à découvrir à partir du 26 septembre à la Galerie du 19M, porte d’Aubervilliers, lieu dédié aux métiers de l’art, de la mode et de l’artisanat.

A l’occasion de l’exposition « Lesage, 100 ans de mode et de décoration » qui célèbre le centenaire de la Maison de broderie et de textile, l’écrivain-artiste et ex-joueur de rugby, Aristide Barraud qui est aussi, comme Fodil Drici, un ancien élève de l’école Kourtrajmé, y exposera sa « Murmuration des étourneaux », une œuvre textile collaborative composée de centaines d’étourneaux brodés sur des pans d’organza.

« Aristide m’a confié la partie animation de l’exposition, explique Fodil Drici. Pour cela, j’ai composé un film d’animation de manière traditionnelle avec près de 800 dessins composés entièrement à la main. Comme le 19 M est le lieu dédié aux artisans de la main, je n’ai pas voulu utiliser le numérique, j’ai donc créé mon animation en 24 images par seconde, dessinées au fusain. »

 

Du 26 septembre 2024 au 5 janvier 2025, « Lesage, 100 ans de mode et de décoration » à la Galerie du 19M Paris/Aubervilliers. Entrée gratuite, toutes les infos ici.