Go In Seine-Saint-Denis, le hip-hop en si(x) majeur…

Go In Seine-Saint-Denis, le hip-hop en si(x) majeur…

Retour sur la dernière édition de la finale du concours Go In Seine-Saint-Denis » dédié à la culture hip-hop. Le 4 octobre au Raincy, ce sont onze candidats qui étaient en lice lors d’une journée-marathon d’auditions. Où le plus difficile a surement été de départager les lauréats.

« Bon, maintenant, c'est le moment de choisir, et ça ne va pas être simple ! »

A l’heure de délibérer après une journée d’auditions, Thierry Grone, le président de l’association Culture de Banlieue qui a imaginé aux côtés du IN Seine-Saint-Denis les contours de cette 5e édition du concours du Go In Seine-Saint-Denis dédié à la culture hip-hop résume un peu le sentiment général…

Compliqué en effet pour le jury de professionnels de la scène hip-hop de départager les onze candidats qui viennent d’exposer, toute la journée du vendredi 4 octobre à l’Avant-Poste, le tiers-lieu culturel du Raincy, leurs différents projets célébrant, à leur manière, les 40 ans du hip-hop en France.

Surtout quand le dernier candidat en lice, « Stomp ! » venu de Villetaneuse, vient de scotcher toute l’assistance avec son rap expérimental qui fait même vriller le micro….

Mais quand le jury de professionnels refait le tour de ses notes sur les « auditionnés » de la journée qui ont exploré toutes les facettes du hip-hop (danse, rap, DJing, beatmaking, beatboxing, graffiti, mode), c’est le même constat qui revient. Celui dressé, entre autres par Berthet One, artiste de La Courneuve, au tout début de la journée lorsqu’il s’adresse à Jésus…

En l’occurrence et pour être précis, Jésus Cubillos qui vient tout juste de présenter son projet de marque streetwear delbarrio.93 : « Franchement, je ne sais pas ce qui va se passer à la fin de ce concours, mais il faut absolument qu’on reste en contact ! », glisse le street-artiste.

2024-10-04_HIP-HOP_concours_Le_Raincy_BL005

« Une marque puissante pour le 93 »

Alors, Jésus, Chilien débarqué à Saint-Denis il y a 7 ans sans parler un mot de notre langue, qui craignait de bégayer son français devant le jury, se détend franchement en sortant de la salle dédiée à la présentation des projets : « C’était une super expérience, tout le jury a été bienveillant. J’ai senti que mon projet les accrochait, ça donne de la motivation pour la suite. »

La suite pour le tatoueur installé à Saint-Denis et exerçant aux Puces de Saint-Ouen, ce sera donc le développement de delbarrio.93 une marque « qui représentera la Seine-Saint-Denis, en organisant des collaborations avec des artistes ou des graffeurs du territoire. Avec les connexions que va m’ouvrir le réseau du IN, mon envie c’est de créer un réseau d’artistes et de collaborations pour créer des vêtements stylés. En mélangeant la culture chicano et celle du 93, on peut faire un truc puissant. »

La puissance de conviction, c’est aussi ce qui caractérise Luccia Anyomi, 22 ans une des plus jeunes candidates du jour lorsqu’elle défend son projet. Oublié le mauvais « rhube » qui la faisait parler du nez quelques minutes plus tôt. La photographe des Pavillons-sous-Bois déroule son projet de documentaire qui explorera « les années 2010 pour raconter comment les cultures urbaines ont permis à des jeunes de Seine-Saint-Denis de s’épanouir à ce moment-là. Ce que je veux, c’est vraiment mettre en valeur l’humain, raconter des histoires à travers un documentaire vidéo, montrer comment la culture hip-hop a changé des vies. »

2024-10-04_HIP-HOP_concours_Le_Raincy_BL012

Simple, clair et percutant...

Un discours simple, clair, percutant qui séduit Thierry Grone, auteur entre autres de la BD « Dis papa, c’est quoi le hip-hop » : « C’est impressionnant d’avoir des jeunes comme Luccia qui ont envie de laisser des traces, d’être dans la transmission. Et puis, la maturité de son projet est bluffante. Il faut l’aider… »

A l’heure des délibérations, en fin de journée, Luccia fera bien partie des gagnants de la journée.

Lauréat ou pas, chacun des onze derniers projets en lice est en effet, reparti avec un contact, un avis éclairé sur son projet parce qu’explique Julien Cholewa, autre membre du jury et directeur de La Place, le lieu d’expression dédié au hip-hop installé au cœur des Halles de Paris, « notre rôle c’est aussi de donner des coups de pouce à quasiment tous les lauréats. Par exemple, en leur ouvrant notre réseau professionnel. Mais, franchement, certains projets sont déjà très bien construits. »

D’autres en sont encore davantage au stade de l’idée –lire le portrait d’Abdourahmane Sebiane par ailleurs– mais c’est « toute l’essence de ce concours », rappelle Marie-Amélie Keller, la directrice du IN Seine-Saint-Denis au jury qui compose et recompose sa liste de lauréats : « Rappelez-vous bien au moment de votre choix que notre but est d’accompagner les projets qui démarrent et ne rentrent pas spécialement dans des cases formatées… ».

Lesquels projets vont, en effet, bénéficier d’un accompagnement personnalisé par les incubateurs du plan hip-hop du Département de la Seine-Saint-Denis, sur les aspects artistiques, administratifs, techniques et stratégiques de leurs projets.

Une perspective qui donne le sourire à Sonia Chetoui, danseuse et créatrice de la Compagnie Blast, qui a exposé sans détours au jury son besoin urgent de « mieux comprendre comment diffuser une création. Moi, mon truc, c’est danser et créer, pas forcément passer mon temps derrière mon ordinateur à enchaîner des démarches administratives ! »

Un cri du cœur qui rappelle quelques souvenirs à une autre danseuse Laura Nala, créatrice de la Compagnie Mazel Freten et membre du jury du concours Hip-hop In Seine-Saint-Denis : « Malheureusement, au début, on est un peu obligés de tout faire soi-même. Mais, il y a des structures, des outils pour t’aider… ».

2024-10-04_HIP-HOP_concours_Le_Raincy_BL063

Le système D dans l’ADN du hip-hop

Des mains tendues du jury, il y en aura bien d’autres tout au long de la journée.

Par exemple lorsque le duo composé par Asstou Cissé et Mayvis William, membres du collectif de danseuses InBEATween, qui promeut la culture club et ses danses sociales, dévoile son projet de mixer mode et hip-hop en créant des vêtements up-cyclés pour des danseurs lors d’évènements. Aussitôt, la présentation du projet résonne du côté de Magali Fricaudet, la directrice de Canal 93 à Bobigny : « C’est très inspirant cette rencontre entre écologie et hip-hop et ça me donne plein d’idées pour Canal93. Il faut que vous veniez me voir. Et franchement, bravo parce que c’est dans l’ADN du hip-hop d’être débrouillard et de faire avec ce que l’on a… »

Un peu plus technique et pratique, le danseur et plasticien Nicolas Faubert apprécie, lui, le côté « stylé » du projet : « Évidemment, le style pour un danseur, c’est très important, clame-t-il. Et, ce que vous proposez, c’est carrément pensé pour ceux qui s’arrachent les cheveux à choisir le bon vêtement ! »

Des cheveux, on passe aux méninges du jury qui, en fin de journée, ont fini d’être triturés… Et voilà comment cette édition du concours « Hip-hop In Seine-Saint-Denis » s’achève sur une bonne note, celle du si(x) majeur des lauréats –lire ci-dessous. A eux de jouer maintenant pour faire vivre leurs projets.

Frédéric Haxo

LES SIX LAURÉATS DU GO IN 2024

  • Astou Cissé et Mayvis William, Aubervilliers, projet InBEATween, création de vêtements upcyclés lors d’évènements hip-hop.
  • Luccia Anyomi, Les Pavillons-sous-Bois, projet de documentaire autour des années 2010 de la culture urbaine, réalisation d’une série de portraits sensibles d’acteurs du mouvement hip-hop en Seine-Saint-Denis.
  • Jesus Cubillos, Saint-Denis, création de la ligne de vêtements delbarrio.93, une marque de streetwear made In Seine-Saint-Denis.
  • Abdourahmane Sebiane, Tremblay-en-France, organisation de sessions freestyle rap dans 10 villes du 93.
  • Collectif Badness, Aubervilliers, projet d’un évènement dédié à la pratique du crump dans le 93.
  • Compagnie Blast dirigée par Sonia Chetioui, Montreuil : création d’une pièce de danse hip-hop sur le thème de la polarisation sociale.

PORTRAIT DE LAUREATS (1/6)

Abdourahmane Sebiane, l’improvisation bien organisée

Le In vous fait découvrir les six lauréats de la 5e promotion du GO IN en mode hip-hop. Première étape à Tremblay-en-France avec le projet du Propagande 93 Tour. Une idée en mode freestyle…

« Moi, ma vie c’est un peu une impro, alors c’est peut-être pour ça que j’aime le freestyle… » Lorsqu’on lui demande pourquoi il a choisi de candidater au GO IN avec un projet qui défend la culture freestyle en Seine-Saint-Denis, Abdourahmane Sebiane, improvise une nouvelle fois. Mais avec conviction. A 23 ans, ce Tremblaysien, qui vient de boucler un master en communication et innovation, est bien décidé à redonner du lustre au freestyle une pratique un peu perdue du hip-hop où un rappeur improvise un texte, avec ou sans rythmes instrumentaux. Un concept que le spécialiste de la communication a baptisé Propagande 93 Tour avec « l’idée d’aller dans dix premières villes de Seine-Saint-Denis où on organisera des sessions freestyle avec un rappeur local qui racontera sa ville, la fera découvrir. Et puis, j’irai aussi à la rencontre des habitants pour qu’ils me parlent de leur ville. Ce que je veux, c’est à la fois raconter la Seine-Saint-Denis différemment et faire découvrir des artistes émergents. »

Un « puriste » du rap 

Une manière aussi pour le natif de Villepinte et « Tremblaysien depuis toujours » de faire en sorte de « casser l’imaginaire collectif qui associe, trop souvent, la Seine-Saint-Denis à des bâtiments gris et à du trafic de drogue. Propagande 93 Tour, c’est ma façon à moi, à travers le rap, de promouvoir la diversité du 93. Montrer qu’elle est positive, qu’elle crée des choses, qu’il y a une vraie culture derrière… »

Celle qui a un peu façonné, en tout cas l’univers musical d’Abdourahmane Sebiane, guitariste amateur qui a « découvert le rap sous l’influence de mon frère ainé. Mais, après, je me suis construit ma propre culture, un peu celle d’un puriste d’ailleurs, parce que quand j’ai commencé à m’intéresser au rap, je n’écoutais que des trucs des années 90 : NTM, Oxmo Puccino, Booba. Je suis rentré dans le rap par cette porte-là, celle d’une époque où le freestyle avait une place plus importante. »

Avec son « Propagande 93 Tour », Abdourahmane Sebiane compte bien, justement, le ramener dans la place…

Frédéric Haxo