Le Garage B, plan A du street-art In Seine-Saint-Denis
Au bord de l’Ourcq à Bobigny, cet ancien garage automobile départemental a été réinvesti par l’association Art Azoï. Et transformé en un lieu qui rend hommage à la culture hip-hop à travers l’intervention de onze artistes. Visite guidée par les commissaires de l’exposition.
« Ça ressemble presque à une scène de hip-hop, ça m’a donné envie de danser ! » Au détour de sa visite du Garage B et de la découverte des anciens rouleaux de lavage des véhicules revisité par Nassyo, explorateur urbain du graffiti, Fonky Foued, pionnier de la danse hip-hop dans l’Hexagone, est démangé par l’envie de faire bouger les lignes…
Et, c’est bien tout l’esprit du Garage B de Bobigny, ancien garage départemental lové dans le Parc de la Bergère : être un laboratoire du street-art où « la calligraphie, les lettrages, la photographie, les installations en volume de onze artistes créent une déambulation particulière », détaille Elise Herszkowicz, fondatrice de l’association Art Azoï et directrice artistique d’une exposition ouverte à la visite pendant tout l’été (1). C’est aussi dans le contexte politique nauséabond que traverse la France, la possibilité d’offrir un espace de résistance et de liberté aux artistes. »
« En 1984, la découverte des extra-terrestres du hip-hop »
Celui, par exemple, qui commence à se dessiner lorsque le hip-hop débarque en France en 1984, en provenance des Etats-Unis. Un univers que retrace la série de grands formats du photographe Willy Vainqueur, « archéologue » à l’argentique des premières battles dans l’ex-casse automobile du Fort d’Aubervilliers. « Les photos de Willy, ce sont les prémisses du hip-hop. Il a su figer comme personne d’autre les regards étonnés de gamins, qui ont aujourd’hui 60 ans, découvrant des extra-terrestres qui viennent breaker devant eux, avec des plumes dans les cheveux. Pour certains, c’est ce qui leur a donné l’envie d’être artiste », raconte Marko93 dont le visage adolescent s’affiche justement parmi les clichés de Willy Vainqueur.
Quarante ans plus tard, le Dionysien à l’éternelle casquette est justement l’un de ses artistes, mais aussi l’un des trois commissaires de l’exposition du Garage B, « exténué par plus d’un mois pour transformer ce lieu, mais aussi heureux d’avoir mené une belle aventure humaine et organisé la rencontre de différentes sensibilités artistiques. » Dans une des salles du Garage B, le bleu intense des calligraphies de Marko93 et les déliés de ses films plastiques calligraphiés qui ondulent dans les hauteurs de la charpente du site industriel, enrobent ainsi la sculpture de 4 mètres de haut et 300 kilos de plastique et matières diverses recyclés par Malam, plasticien résident du 6b, lieu de création et de diffusion implanté à Saint-Denis.
« C’est une création que j’ai faite en un mois. Mais, une œuvre comme ça, c’est un travail de 30 à 40 ans, qui s’est macéré, a muri. C’est, en fait, le fruit d’un parcours artistique », sourit l’artiste né au Cameroun et formé à l’École nationale supérieure d’art de Nancy, au moment de partager une photo-souvenir avec Marko93.
Entre les deux artistes, le fluide semble aussi intense que le cycle de l’eau symbolisant la vie aquatique du canal de l’Ourcq voisin, représenté par Marko93. « Il y a une énergie, une communion qui nous a amené à ce résultat, apprécie Malam. Et puis, c’est toujours important de vivre avec les autres, parce qu’en tant qu’artiste, on parle tous à la société chacun à notre manière, puisqu’on crée sur des supports différents. Mais ce qui nous relie tous, c’est de travailler en commun pour le public, pour qu’il soit fier de ce qu’il voit. »
Dialoguer, partager grâce à l’art...
Exactement ce qu’explique Marko93 en poursuivant la visite guidée du Garage B, tout en détaillant les intentions de sa création : « Moi qui suis né près de la Basilique de Saint-Denis, j’ai pensé au thème de l’élévation, glisse-t-il. C’est comme ça que j’ai voulu figurer le cycle de l’eau qui monte vers le ciel et redescend. En utilisant des films transparents, j’ai réussi à préserver la vision sur le reste de l’expo. Parce que ce qui compte surtout ici, c’est la transmission des œuvres, qu’elles se rencontrent entre elles et qu’elles rencontrent aussi leur public. C’est ce qui donne du sens à ce lieu… »
Un sens de la visite que l’on trouve en continuant de pousser les portes qui mènent vers une nouvelle salle du Garage B, un autre pas vers un nouvel univers chromatique. En quittant les flots bleus de Marko93, on effectue ainsi un aller vers le vert chlorophyllé de Sifat, artiste autodidacte adepte des lignes et des formes inspirées par la végétation. Sur la façade du Garage B et à l’intérieur, la trentenaire née au Bangladesh, s’est exprimée à sa manière. Foisonnante et éclairante : « Moi, je travaille beaucoup avec le ressenti du moment, je ne pars pas d’une maquette, j’ai besoin d’une prise de risques pour que le geste et la peinture sortent, explique-t-elle. Des lieux, comme ce garage au bord de l’Ourcq, sont formidables pour expérimenter des choses, mais aussi rencontrer d’autres artistes. Et surtout, c’est maintenant un nouveau lieu artistique en Seine-Saint-Denis qui nous permet de discuter, de se rencontrer au moment où la France se divise. Parce qu’on aime ou qu’on n’aime pas, l’art amène à la conversation et au dialogue… »
Frédéric Haxo
(1) Visites gratuites en réservant ici
« Un lieu à l’image du bouillonnement et de la diversité de notre territoire »
Lors de l’inauguration du Garage B, Stéphane Troussel, président du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, a rappelé après le « choc » des élections européennes l’importance de la création dans le 93 qui raconte la réalité d’un « territoire jeune, populaire et mélangé. » Verbatim.
« Issu d’un appel à projets lancé en 2023 pour redonner vie à ce garage départemental, le Garage B est désormais un lieu d’expression artistique si caractéristique de l’identité de la Seine-Saint-Denis. Ce sont onze artistes qui offrent un témoignage en concentré de la richesse et de la diversité du graff et du street-art. Un lieu qui ne va pas en rester là puisque le Département va faire en sorte que le garage B puisse devenir un lieu ouvert, vivant, animé et attractif sur le canal de l’Ourcq. Ce sera l’illustration de la détermination du Conseil départemental pour ouvrir des lieux d’expression dédié aux arts urbains. C’est à travers eux que nos artistes rayonnent dans tout le pays et plus largement dans le monde. Dans le contexte politique actuel avec une extrême droite qui multiplie les insultes et les crachats sur la Seine-Saint-Denis et ses habitants, nous croyons qu’il est important de dire la réalité de ce qu’est notre département : un territoire à l’avant-garde de l’art où il existe un bouillonnement culturel artistique.
Et, si ce bouillonnement existe, c’est aussi parce que nous sommes un territoire, jeune, populaire, mélangé, divers qui puise sa créativité dans un grand brassage des cultures.