2016-2020, l’odyssée de l’Espace imaginaire, tiers-lieux solidaire et collaboratif in Seine-Saint-Denis
Depuis cinq ans, ce tiers-lieu installé dans le quartier de la Plaine à Saint-Denis est une terre de création et de partage où théâtre, coiffeur solidaire, rucher ou potager se mélangent. Avec à la manœuvre, des habitants qui veillent sur l’esprit ouvert et collaboratif de ce rêve de « jardin à la dyonisienne ».
C’est au 12 rue de la Procession dans le quartier de la Plaine à Saint-Denis qu’on trouve un petit coin d’ailleurs dans cette partie de la Seine-Saint-Denis profondément transformée depuis 25 ans dans le sillage de la construction du Stade de France où les Bleus du foot ont accroché en 1998 une première étoile à leur tunique. Au 12 de cette rue qui abrite aussi l ’église ultra-profilée de Saint-Paul-de-la-Plaine , on voit encore les étoiles dans le ciel, mais pas seulement : ce n’est pas pour rien que le site qui prend place à ce numéro a été baptisé l’Espace Imaginaire lorsqu’il a été inauguré en 2016…
A part ça, tout autour de ces quelques arpents à portée de marche de la nouvelle Université Paris-Nord-Sorbonne et de l’historique rue du Landy, il y a aussi des grues, beaucoup de grues, mais on y reviendra…
Dans cet univers urbain confit de pas mal de béton, on essaie donc de donner autre chose à voir et à expérimenter aux habitants qui fréquentent cette friche culturelle délimitée par d’énormes conteneurs où sur un peu plus de 3000 m2 on trouve une ressourcerie, un four à pain, un atelier de réparation de vélos, un coiffeur solidaire, un potager, un studio d’enregistrement… Et surtout un kiosque solidaire où les sans domiciles fixes peuvent trouver un peu de café et de quoi manger. Bref, l’endroit assemblé en matériaux de récupération, ressemble un peu à une auberge espagnole sur ce territoire où les travailleurs venus de par-delà les Pyrénées ont afflué au siècle dernier. Naturellement, dans la cité royale, on vit aussi à la bonne franquette : « Les personnes sans-abris qui viennent ici ont les clés, ils s’autogèrent », raconte simplement Michel Lemaner, habitant du quartier et membre actif depuis 2018 du bureau de l’association qui gère l’Espace Imaginaire.
Ce trentenaire, ingénieur de formation originaire de l’Ouest de la France, a débarqué au pied de son domicile, cette même année 2018, pour y faire du bon pain. En reconversion dans les métiers de la boulangerie, il s’est en effet mis en tête de construire et d’installer un four à pain et à pizza. Bonne idée, on lui a donné les clés… Et depuis, il s’ingénie donc à faire vivre aussi l’esprit d’un lieu qu’il balise en quelques mots plein d’espoir : « Liberté, coopération, possibilité et puis récupération aussi, ajoute-t-il. Tout ce qui traîne dans le quartier ou pas loin, on le récupère, le retape, le revalorise. Et avec tout ça, on fait vivre un lieu qui est une respiration dans un environnement où de nouvelles grues poussent chaque jour. C’est bien de préserver un endroit qui n’est pas qu’un parc morne pour faire un peu de vert, mais bien un endroit de rencontres, de solidarité. »
Avec et pour les habitants
Une philosophie qui germe dès 2015 avec comme « jardinière » Juliette Bompoint, ambassadrice du IN et directrice de Mains d’œuvres chez les voisins de Saint-Ouen. Celle qui tient ferme les rênes audoniennes d’une ex-usine transformée en « Lieu pour l’imagination artistique et citoyenne » se souvient : « Au départ, Mains d’Oeuvres répond à un appel à projet de la ville de Saint-Denis pour faire « quelque chose » de ce terrain à l’abandon appartenant à la Région Ile-de-France. Dans notre projet, on développe notre envie d’impliquer les habitants dans la construction et la définition de ce lieu et on est retenus : le terrain nous est confié. Ensuite de 2016 à 2018, on s’évertue à former un petit groupe de co-gestionnaires pour l’Espace Imaginaire, tout en commençant à l’aménager. Il n’y a ni eau, ni électricité au départ, mais on y amène des conteneurs qui seront des bases de vie, on récupère des matériaux un peu partout, on sème un potager. C’est un peu un rêve qui se forme sous nos yeux, même si tout n’est pas toujours rose. »
Le côté plus sombre de l’histoire, c’est que passé les premiers mois de conquête et de défrichage, l’Espace Imaginaire est rattrapé par la réalité immobilière francilienne. En d’autres termes, Mains d’Oeuvres n’a signé en 2016 qu’une convention d’occupation à titre gratuit pour une durée de deux ans. Elle est tacitement reconduite jusqu’à ce que l’association qui a pris la suite de Mains d’œuvre apprenne que la construction sur le terrain voisin d’un bâtiment de recherche et d’enseignement pour le Conservatoire national des arts et métiers ne menace son pré carré préservé. Qui devrait finalement se resserrer un peu : « Aux dernières nouvelles, nous expliquait Michel Lemaner en avril dernier, on devrait pouvoir garder les trois quarts de notre site. Mais, on perdrait notre serre dans l’opération… »
Un lieu caméléon…
Presque un moindre mal. De toute façon, l’Espace Imaginaire est aussi pensé pour pouvoir poser ses valises de SDF de la solidarité au gré des opportunités et des trous dans la raquette de l’urbanisation. « Tout ce qui a été conçu à Saint-Denis l’a été de manière à ce que ce soit mobile, qu’on puisse reproduire l’expérience de l’Espace ailleurs s’il le faut, expose Juliette Bompoint de Mains d’œuvre qui continue de garder un oeil attentif sur le site dyonisien. Ce qui a été fait rue de la Procession est un bon modèle, même si on se rend compte avec l’expérience qu’il faut du temps pour impliquer les habitants et créer une vraie dynamique collaborative. Encore plus quand pèse la menace de quitter les lieux… »
En attendant et pour le moment, l’aventure de l’Espace Imaginaire continue. Sortis du confinement des mois de mars et avril, Michel Lemaner et les membres du bureau de l’association regorgent même d’envies : « La crise du coronavirus nous a coupé l’herbe sous le pied comme beaucoup d’autres projets associatifs, mais on est là et bien là. On a envie de faire vivre l’Espace Imaginaire comme un vrai tiers-lieu culturel, ce qui ne s’arrête pas pour nous à boire du thé et travailler derrière un ordinateur. Non, ce qu’on veut, c’est être un lieu-caméléon ouvert à toutes les propositions culturelles où les gens qui veulent simplement bêcher la terre avec nous sont également les bienvenus. Notre horizon a beau être coupé par les grues, on regarde quand même vers l’avenir… »
Frédéric Haxo
Crédits photo: Espace Imaginaire