Ambassadeur In Seine-Saint-Denis: Yvan Loiseau, le goût des autres
Pendant trois mois, d’avril à juin 2018, ce photographe a fait le tour de la Seine-Saint-Denis avec un principe original : faire la cuisine chez les habitants en échange d’une nuitée. Sa volonté : capter des moments de vie et chasser certains clichés récurrents à propos du département. Dans quelques semaines, il restituera son travail à Mains d’Oeuvres, à l’occasion d’un vernissage un peu spécial… Où chacun est invité à rester passer la nuit.
On parcourt d’un œil attentif ses précédents ouvrages photo : « Méditations acidulées » pour un voyage en Amérique latine, « La clarté du désordre » pour un périple à Madagascar. La couverture du premier suscite notre curiosité : Pourquoi une poule en ouverture d’un recueil sur l’Amérique latine ? « Je crois que c’est un autoportrait. Cette poule est grande et fine, et elle a l’oeil ouvert sur le monde ». C’est du Yvan Loiseau dans le texte : jovial et proche des gens, avec un brin d’autodérision. A 26 ans, ce photographe et comédien a décidé de repartir sur les routes avec son concept convivial – cuisine contre gîte. Mais cette fois, son voyage devrait l’emmener moins loin, quoique… L’artiste a décidé de parcourir à pied la Seine-Saint-Denis et d’en revenir avec les portraits de quelques-uns de ses habitants.
« Je me devais d’entreprendre ce voyage culinaire en Seine-Saint-Denis, dans ce département qu’on montre toujours sous un jour défavorable. Alors qu’avec mes photos, j’ai envie de dire : « le 93, ce n’est pas ce vous croyez », explique le jeune homme, avec une pointe d’accent du Gard où il a grandi.
Il y a 4 ans, ce comédien de formation est monté à la capitale pour vivre de sa passion. Mais attiré par le bouillonnement humain et multiculturel de la Seine-Saint-Denis, il a plutôt choisi la vibrante Saint-Denis comme port d’attache. « Saint-Denis, c’est une ruche, il n’y a qu’à se baisser pour ramasser des histoires de vie incroyables », dit ce grand curieux dont le projet rappelle ceux d’Antoine de Maximy (J’irai dormir chez vous) ou de Wael Sghaier, journaliste auteur de « Mon Incroyable 93 » et qui devrait d’ailleurs bientôt sortir un documentaire sur son odyssée séquanodionysienne. Sauf que Loiseau – il s’agit là d’un nom d’artiste, dont l’intéressé jure qu’il n’a aucun lien avec le grand chef Bernard Loiseau – a lui décidé de conjuguer dans son voyage photographie et cuisine.
« Chaque fois que je vis des belles histoires, il y a la cuisine au milieu. La cuisine, c’est un accélérateur de lien social, une formule 1 », argumente ce photographe rabelaisien, qui métabolise toutefois plus ses repas en images qu’en kilos, à en juger par sa silhouette filiforme.
Cuisine et photo : deux passions qui marchent chez lui main dans la main depuis l’enfance. « Mon meilleur pote d’enfance, Thibault, est le fils d’un grand vigneron, Eric Pfifferling, qui s’est fait connaître des tables parisiennes pour ses excellents crus. C’est notamment chez eux, à Tavel, que j’ai appris les plaisirs de la bonne chère. Et comme mes parents avaient toujours un appareil qui traînait quelque part, j’ai très vite croisé la cuisine et la photo », raconte ce fils d’un chercheur en physique nucléaire et d’une ancienne employée de la SNCF, désormais à la retraite.
Depuis quelques semaines, Yvan Loiseau régale donc les habitants de Seine-Saint-Denis qu’il croise sur son chemin de ses petits plats. Aiguillettes de poulet avec fondue de poireau et couscous figurent parmi ses spécialités. Depuis qu’il s’est lancé dans son aventure, Loiseau s’est déjà posé chez un acteur vénézuélien de Saint-Ouen, une employée de France 2 ou un cadre chez EDF. « Mais bon, moi les professions m’importent peu, ce n’est pas ce que je demande aux gens. On discute de tout et de rien, de s’ils sont heureux, de ce qu’ils attendent de la vie. », rectifie le randonneur philosophe. Avant de rentrer dans le détail de son projet baptisé « Salade de racines » : « Je veux montrer la Seine-Saint-Denis sous toutes ses couleurs. Ici la joie est tout aussi présente qu’ailleurs, mais elle est moins représentée. Bien sûr, il y a des trucs durs, des difficultés sociales, ce serait absurde de le nier. Mais au final il y a aussi toujours un rayon de soleil », estime ce poète dans l’âme.
Est-il déjà arrivé qu’il ait à rentrer à son adresse de Saint-Denis, éconduit par les habitants, en pseudo-aventurier ? « Non, heureusement d’ailleurs, parce que j’en serais très contrarié. En général, les gens te disent assez vite s’ils sont prêts à te recevoir chez eux ou pas. Pour l’instant, avant 18h je sais toujours où je dors. », remarque celui qui tient à souligner l’hospitalité globale des personnes croisées sur sa route. « Souvent, je dois insister pour faire la bouffe parce qu’il m’est déjà arrivé plusieurs fois qu’on me dise de mettre les pieds sous la table », ajoute le photographe soutenu par la marque « In Seine-Saint-Denis », un projet lancé par le Département pour tordre le cou aux préjugés sur le territoire.
Mais attention, si Loiseau est plutôt du genre à voir le verre à moitié plein dans la vie, il ne faudrait pas non plus voir en lui un idéaliste bisounours. L’artiste, conscient des nombreuses inégalités sociales du 93, n’est pas du genre à s’en satisfaire. De la même manière, son spectacle « Le frigo des gringos », qu’il jouera notamment en juin au festival « Passe à la maison » de Saint-Denis, dénonce sans détours les comportements colonialistes et parfois néo-colonialistes des Occidentaux en Amérique latine. « Ce voyage m’a mis une vraie claque », affirme Loiseau qui depuis a opéré un virage radical, lui qui s’ennuyait auparavant dans un cursus « techniques de commercialisation » à Montpellier. « C’est en Amérique latine que j’ai su que je voulais devenir comédien et aller à la rencontre des gens », se souvient celui qui s’est ensuite donné les moyens de ses ambitions en faisant le Conservatoire à Cergy puis un master 2 théâtre, création et recherche à Paris VIII-Saint Denis. En 2012, il a aussi fondé une petite association humanitaire, « C’est cadeau », qui rémunère notamment une femme à Madagascar pour qu’elle s’occupe de dix enfants scolarisés. « Ce n’est pas grand-chose, mais ça compte quand même pour moi. C’est une façon de me sentir citoyen du monde. »
Après ce tour d’horizon, Loiseau ressent le besoin de déployer ses ailes. On en est tout juste à régler les consommations du café de Saint-Denis où a eu lieu la rencontre quand la conservation s’engage entre le photographe cordon bleu et le barman. « Il est super, votre appareil photo ! – Oui hein ? C’est parce que je fais un tour de la Seine-Saint-Denis, je propose aux gens de leur faire la cuisine en échange d’une petite photo et d’une nuit passée chez eux… – Ah, j’aime beaucoup la photo. Là, je ne peux pas vous loger, mais revenez dans quelques jours, on pourra peut-être s’arranger. » Avec Loiseau, l’aventure est au coin de la rue.
Christophe Lehousse
Le voyage culinaire d’Yvan Loiseau est à suivre sur son Facebook : yvanloiseau