Concours Pose ton idée: Esprit de cité, un projet lauréat qui veut faire école

Concours Pose ton idée: Esprit de cité, un projet lauréat qui veut faire école

Lauréate en 2019 du concours « Pose Ton Idée », une mère de famille aulnaysienne ambitionne de créer dans sa ville une école des parents, lieu d’infos mais aussi de jeu et de discussion entre les générations. Un endroit pour mieux se préparer « au parcours du combattant de la scolarité. »

A l’écouter dérouler de manière très claire son « projet d’école des parents, un lieu où les parents pourront s’informer sur les dispositifs ou les aides à leur disposition en cas de troubles d’apprentissage de leurs enfants, mais surtout jouer et discuter avec eux », on a du mal à croire Naïma H. – discrète, elle préfère se présenter avec cette seule initiale- lorsqu’elle dit « ne pas être très à l’aise à l’oral et avoir raté son pitch lors du concours « Pose ton idée », organisé fin octobre 2019 sur l’esplanade du Nouveau Cap à Aulnay-sous-Bois. Soutenu par le IN-Seine-Saint-Denis et porté par deux de ses ambassadeurs, les associations « Time2start » et Convergence Entrepreneurs, le concours offrait à douze néo-entrepreneurs l’occasion de pitcher en trois minutes leur projet devant un jury de professionnels. A la clé : 1 000 euros de matériel pour démarrer leur activité et l’accès à un réseau entrepreneurial. A ce jeu-là, Naïma H, mère de famille quarantenaire d’Aulnay-sous-Bois a tiré son épingle du jeu : « J’ai raté mon pitch, je crois, sourit-elle, mais je me suis rattrapée lors des questions ! » Presque un jeu d’enfants pour elle, tant justement, elle s’est investie dans l’éducation de ses cinq enfants de 4 à 17 ans. « Un de mes enfants qui est collégien aujourd’hui, a eu des troubles d’apprentissage, résume-t-elle pudiquement, et j’ai dû m’accrocher pour qu’il puisse effectuer une scolarité normale. C’est ce qui me pousse à vouloir partager mon expérience, parce que je me suis rendu compte au fil de mes lectures et de mon apprentissage de mère et de représentante des parents d’élèves que plus on stimule les enfants, plus on joue avec eux, plus ils pourront aborder l’école ensuite dans de meilleures conditions. Et puis, il faut le dire dans nos quartiers de banlieue, les parents n’ont pas forcément les mêmes codes et l’accès aux mêmes informations que ceux issus de milieux plus aisés. Le lieu que je veux créer sera là pour rétablir un peu d’équilibre. »

Valoriser les savoirs des quartiers

Son nom est d’ailleurs déjà tout trouvé : « Esprit de cité ». Et Naïma H., titulaire d’un CAP petite enfance passée en candidate libre pendant qu’elle élevait ses enfants, projette de l’ouvrir à l’horizon de la rentrée 2020-2021. « Ce sera un lieu dédié en priorité à la l’âge de la première enfance -de 0 à 6 ans- où les parents pourront s’entraider, parce qu’on a tous des connaissances, des savoirs à valoriser en Seine-Saint-Denis. On s’appuiera par exemple sur les différentes langues parlées dans les quartiers pour travailler le langage. Et puis, il y a aussi des jeux fantastiques pour éduquer les enfants dans chaque culture, prenez l’awalé – un jeu de réflexion basé sur le calcul- utilisé en Afrique, c’est un très bon outil pour développer les compétences logico-mathématiques des enfants. Et s’ils y jouent avec leurs parents, ce sera encore mieux ! » Intarissable sur son projet, la « quadra » débarquée à Paris à l’âge de onze ans en provenance du Maroc « sans connaitre un mot de français » aimerait qu’il ressemble « dans l’esprit » au Centre social du quartier parisien de la Goutte d’or qui l’a aidé à se construire : « Je me souviendrai toujours du dévouement extraordinaire de deux bénévoles du centre, Simone et Aïcha, qui nous ont tendu la main, nous ont aidé à ne pas rester dans notre coin. »

C’est pour cela qu’elle voit « Esprit de cité » à l’image du salon de sa maison, « un grand bordel organisé où il y a des jeux partout pour les enfants et puis aussi des livres, plein de livres », ajoute celle qui est également titulaire d’un DEUG de littérature et langue.

 

Aider les « déclassés » du système scolaire

 

Aujourd’hui, c’est davantage la littérature éducative qui nourrit son expérience de future cheffe d’entreprise : « C’est vrai qu’au fil de mon parcours de mère et aussi de mon engagement associatif auprès des élèves de l’école élémentaire de la Croix-Rouge à Aulnay, j’ai lu beaucoup de choses sur l’éducation et puis j’ai tellement fréquenté de spécialistes en orthophonie, en psychomotricité que je suis devenu de plus en plus informée sur le sujet. En fait, j’ai beaucoup lu pour pouvoir argumenter, mieux me confronter aussi avec l’institution scolaire qui a du mal, par exemple, à cerner les enfants hyperactifs, à reconnaître leur « douance » comme disent les Canadiens. »

Bref, Naima H. pense son école des parents en grand, avec l’ambition qu’elle devienne également un « centre de ressources où l’on pourrait trouver un réseau d’orthophonistes, de psychomotriciens… Des spécialistes qui sont trop rares en Seine-Saint-Denis. Tellement rares qu’on doit attendre des mois pour décrocher le moindre rendez-vous et poser un diagnostic.»

Pour ne pas rater son rendez-vous avec elle-même et ses « rêves d’une éducation où on ne dit plus aux enfants qu’ils ne sont pas faits pour l’école », celle qui se définit comme une « maman warrior » va maintenant s’activer à construire l’économie de son projet avec le soutien du réseau de « Pose ton idée » et de l’incubateur de la Maison de l’emploi d’Aulnay : « En fait, j’ai surtout besoin de soutien pour me lancer, sous la forme d’une association ou d’une entreprise de l’économie sociale et solidaire, je ne sais pas encore, s’interroge-t-elle. Mais, ce qui est certain, c’est que j’ai envie de me battre pour casser les déterminismes sociaux dans nos quartiers. Et ça marchera, si on se soutient entre parents ! »

Frédéric Haxo
Crédits photo: Tim2Start