Créatrices d’avenir: Zoom sur les 3 finalistes séquano-dionysiennes

Créatrices d’avenir: Zoom sur les 3 finalistes séquano-dionysiennes

Maccha Kasparian, l’œil de Montreuil

 

Finaliste du concours Créatrices d’Avenir dans la catégorie « quartier », cette architecte fait revivre dans le quartier de la Boissière le studio photo de son grand-père. En y ajoutant, en famille, une touche artistique et engagée.

 

Même si elle n’a finalement pas remporté de prix lors de Créatrices d’Avenir, trophées récompensant les femmes entrepreneuses, Maccha Kasparian a ajouté une photo de plus à son album déjà fourni en posant pour la photo de famille des 15 finalistes du concours organisé par Initiative Île-de-France. A Montreuil dans le secteur de la Boissière, les Kasparian sont en effet depuis près de 80 ans l’oeil et la mémoire du quartier grâce au studio photo ouvert dès 1943 par Varastade, le grand-père de Maccha, orphelin du génocide arménien qui dans sa boutique au carrefour des boulevards de La Boissière et Aristide-Briand a tiré le portrait de générations de Montreuillois. Et puis, il y a eu Roger, 82 ans, le fils de Varastade et père de Maccha, photographe indépendant qui a flashé les icônes musicales naissantes des sixties des Stones à Marianne Faithfull en passant par Johnny ou Gainsbourg. Une dizaine d’années intenses avant de reprendre le magasin familial pour les portraits de famille et les mariages. Une activité délaissée pour cause de retraite il y a une quinzaine d’années avant que Maccha, 47 ans, architecte qui a roulé sa bosse entre l’Angleterre et les Antilles, ne reprenne les rênes de l’entreprise familiale en rouvrant le Studio Boissière à plein cet automne.

 

La mémoire et l’âme d’un quartier

 

Le lieu emblématique où pendant des générations, les Kasparian ont développé les moments forts de la vie des Montreuillois redevient à la fois un studio photo et une galerie d’art. « Après être partie de mon quartier parce que j’avais envie de voir le monde, j’y reviens avec l’envie de faire vivre un endroit où on réfléchira sur le monde avec des expositions engagées (1) et pourquoi pas des messages féministes en vitrine pour faire bouger les lignes », raconte Maccha qui se définit « comme un pur produit du 93 », née aux Lilas, grandie à Montreuil, habitant aujourd’hui Bondy et employée un temps au service urbanisme du Blanc-Mesnil.

Et puis, bien sûr, le Studio Boissière gardera aussi sa vocation de boutique photo : « Avec le numérique, les boutiques ont fermé une à une et les gens du quartier reviennent nous voir pour faire développer leurs pellicules laissées dans des tiroirs. Et comme, on a aussi des centaines d’archives de pellicules que les clients ne sont jamais venus chercher, beaucoup de monde vient nous voir dans l’espoir de retrouver des souvenirs familiaux. »

Toute une atmosphère de quartier que Maccha Kasparian a l’espoir «de préserver au maximum alors que Montreuil se gentrifie petit à petit avec l’arrivée prochaine du métro du Grand Paris Express. Du coup, on va être un peu l’âme et la mémoire du quartier. »

Et c’est bien parti pour durer puisque Nelta, la fille de Macha, spécialiste du management des projets artistiques, s’est également glissée dans le « revival » de la petite entreprise familiale. Avec évidemment de nouveaux objectifs -dans tous les sens du terme- pour prolonger la saga Kasparian…

 

(1) Prochain rendez-vous le 6 décembre (18 h 30) au Studio Boissière avec une « Rencontre avec le Kolektif 2D – Haïti », collectif de photographes haïtiens qui a travaillé sur les ravages de la dictature des Duvalier.

 

 

Olivia Collier, master cheffe

 

Lauréate du concours Créatrices d’Avenir dans la catégorie « quartier », cette trentenaire spécialiste de la restauration ouvrira en 2020 « Le Préau » au Pré-Saint-Gervais, un « bar-restaurant-lieu de vie » où artistes et associations locales seront les bienvenus. Portrait.

 

Sur la scène de l’auditorium de la Préfecture d’Ile-de-France, elle a serré les poings à l’annonce de son nom et affiché largement son bonheur du jour en recevant, mercredi 27 novembre, le trophée Créatrices d’Avenir dans la catégorie « Quartier ». Une première récompense pour Olivia Collier, 32 ans, qui en février prochain ouvrira au Pré-Saint-Gervais, « Le Préau ». « Ce sera un bar-restaurant-traiteur, coffe-shop, lieu de vie et de partage ouvert 7 jours sur 7 de 8 h 30 à minuit avec une programmation culturelle ouverte sur les associations locales et les artistes de Seine-Saint-Denis », résume-t-elle d’un trait.

Une aventure que cette ex-barmaid dans des palaces parisiens puis cheffe de rang en brasserie mènera collectivement avec trois associés Stéphane Roux, Lena Clavel et Lara Navarro, « tous du 93 », précise-t-elle. Et de poursuivre : « En fait, on est tous issus du milieu de la restauration et on s’est croisés sur des projets d’entreprenariat via Est Ensemble (1). Ce qui nous a permis de mieux nous connaître et de faire naître l’envie d’avancer en commun. »

 

Un projet très In

 

Sur le territoire du Pré-Saint-Gervais donc où Olivia, après une enfance partagée entre son Angleterre natale, la Normandie et la Porte de la Villette, a établi ses bases dans le quartier des Sept Arpents – Stalingrad, classé prioritaire dans le cadre de la politique de la ville (QPV). « C’est ce qui fait que je cochais toutes les cases pour remporter le concours Créatrices d’Avenir dans la catégorie Quartier puisque je suis aussi sans aucun diplôme supérieur et mère célibataire, sourit-elle. Sur le papier, rien ne me destinait à l’entreprenariat mais j’y suis arrivée par la volonté, l’envie et quelques nuits blanches. Maintenant, il va falloir continuer à se battre pour assurer la viabilité financière de notre projet », juge-t-elle.

En attendant, le chèque de 4 500 euros de Créatrices d’Avenir assurera déjà une trésorerie supplémentaire à l’entreprise naissante. Mais Olivia Collier a confiance en son projet très « In Seine-Saint-Denis » : « Je suis tombée amoureuse du Pré et j’ai envie de participer au développement de ce territoire où il y a de vraies valeurs humaines de solidarité. C’est pour ça que Le Préau sera un lieu cosmopolite, ouvert aux associations du quartier avec des prix accessibles à tous. Personne ne doit s’interdire de passer notre porte… »

(1) La structure intercommunale qui réunit Bagnolet,  Bobigny,  Bondy, Le Pré Saint-Gervais,  Les Lilas, Montreuil,  Noisy-le-sec,  Pantin et Romainville

 

Lise Couturier, la bonne drèche du recyclage

Prix du public du concours Créatrices d’Avenir réservé aux femmes entrepreneuses, cette Bagnoletaise d’adoption installée à la Cité Fertile de Pantin recycle les déchets des brasseurs de bière urbains pour les transformer en farine éco-responsable.

 

Rouler les autres dans la farine n’est pas vraiment dans l’esprit de Lise Couturier, 26 ans, créatrice des Drêcheurs Urbains, toute jeune entreprise qui veut en revanche développer à grande échelle la production de farines éco-responsables, riches en fibres et en protéines en utilisant des drêches de brasseries, les résidus humides du malt issus du brassage de la bière. « Pourquoi importer des farines de soja du Brésil alors qu’on peut produire local en recyclant les drèches que produisent chaque jour les brasseries urbaines en Ile-de-France et donc créer aussi un vrai substitut aux farines animales, pointe cette ex-étudiante en école de commerce, toute fraîche diplômée en masters spécialisé dans l’environnement obtenu en 2018. Un itinéraire étudiant qui l’a amené à faire un stage au sein d’une association spécialiste de l’agriculture urbaine où elle a découvert le pot aux… drèches.

Une découverte vite convertie en projet entrepreneurial qui lui vaut quelques mois plus tard, le 27 novembre 2019, le prix du public lors des Trophées Créatrices d’Avenir, concours primant les projets et les actions des entrepreneuses d’Ile-de-France. Car, Lise Couturier, Bagnoletaise d’adoption depuis un an après un parcours de vie qui l’a menée de Poitiers au Mexique en passant par les Etats-Unis et Saint-Denis, voit loin. « L’objectif à long terme, c’est de démocratiser le recyclage des drèches pour que les farines issues de ce procédé puissent aussi bien intégrer la composition de biscuits industriels ou les recettes de plats servis dans des restaurants végétariens ou privilégiant une alimentation en circuit court et responsable. »

 

De l’engrais et des meubles issus de votre demi de bière…

Un procédé que Les Drêcheurs Urbains vont désormais développer dans « des normes sanitaires de production » au sein de la Cité Fertile où ils viennent d’intégrer pour un bail d’un an, Incoplex 93, un incubateur de projets liés à l’Economie Sociale et Solidaire. « Ce qu’il nous faut maintenant, c’est prototyper la production de notre farine avec on l’espère le début d’un processus de micro-industrialisation d’ici l’été 2020 », glisse Lise Couturier. De quoi faire prospérer Les Drêcheurs Urbains qui pour le moment ne s’appuient que sur les forces de sa créatrice et de son associé ingénieur agronome. « Tout dépendra de nos financements, se projette la jeune femme, mais les perspectives sont larges parce que les drèches peuvent aussi être utilisées pour fabriquer des meubles ou de l’engrais. Donc, le plus rapidement possible, nous comptons intégrer nos premiers salariés en insertion. » Objectif qu’elle tiendra en s’appuyant sur la récolte des drèches des bières Mir (Romainville) et La Montreuilloise afin de rouler ses farines. Pour la petite histoire, le brassage de 1000 litres de bière permet de récolter 300 kg de dre?ches. Une raison supplémentaire, peut-être, de recommander une tournée au comptoir !

Frédéric Haxo