Kamel Dafri: « La Seine-Saint-Denis comme Marseille sont des terres où le monde s’est donné rendez-vous ! »

Kamel Dafri: « La Seine-Saint-Denis comme Marseille sont des terres où le monde s’est donné rendez-vous ! »

Embarqué dans l’aventure du Festival des Musiques du Monde depuis 1999, Kamel Dafri, son directeur, raconte comment le rendez-vous né en 1997 à Aubervilliers a progressivement essaimé ses sonorités et son sens des festivités musicales vers la Méditerranée. Un « mouvement presque naturel » pour rapprocher un peu plus, par la musique et la culture, Marseille et la Seine-Saint-Denis. Avec de nouveaux projets communs à l’horizon 2024 pour les deux terres de Jeux. Interview.

Que le Festival des Villes des Musiques du Monde né à Aubervilliers se tourne vers Marseille et la Méditerranée, c’était finalement presque naturel…

Kamel Dafri. Oui et si on fait un peu d’histoire, tout a commencé en 1997 à Aubervilliers avec la création du Festival Auber’ville des Musiques du Monde puisque l’association Villes des Musiques du Monde est née au sein de l’Office municipal de la jeunesse. Ensuite, le Festival est devenu intercommunal à partir de 2000 avec une extension territoriale progressive en Seine-Saint-Denis à mesure que nous mettions en avant la diversité et la richesse des différentes cultures des habitants du 93. Bref, très vite, le Festival est devenu aussi un outil pour mobiliser la jeunesse et les dynamiques autour des quartiers populaires puisqu’on est aussi passé de 15 jours de Festival à 5 semaines, une quarantaine de dates et 250 heures d’ateliers. Et finalement, le Festival est devenu une sorte de cocotte-minute qui bouillonnait en permanence, avec un travail tout au long de l’année en amont et en aval de l’évènement rassemblé sous le chapeau de l’École des Musiques du monde, une école nomade qui propose des dispositifs d’éducation artistique et culturelle. Principalement autour de la « Cité des Marmots », un dispositif qui existe depuis 2008 sous forme d’un « voyage » musical avec un artiste durant l’année scolaire et concerne aujourd’hui 10 villes en Seine-Saint-Denis en impliquant plus de 600 enfants.

Et en 2015 donc, le projet essaime aussi jusqu’à Marseille avec la Cité de Minots ? En attendant d’autres lieux dans l’hexagone ?

Kamel Dafri. Oui, effectivement avec la Cité des Minots qui embarque aujourd’hui 900 minots marseillais où nous faisons toujours se rencontrer l’univers culturel d’un artiste avec des écoliers ou des enfants de centre de loisirs. Dans la langue de l’artiste qui est invité. Mais, ce n’est pas le seul évènement made In Seine-Saint-Denis qui a essaimé hors du département puisque nous sommes aussi très sollicités pour amener le projet sur d’autres territoires : à Toulouse avec un projet de Cité des Gafets (marmots en occitan) ou en Bretagne avec une Cité des Gallos…

Mais pour revenir à Marseille et ses liens avec la Seine-Saint-Denis, nos deux projets communs de Cité des Minots et des Marmots réunissent finalement deux territoires avec beaucoup de similitudes culturelles et sociologiques, également associés dans le cadre des prochains Jeux puisque Marseille, comme le 93, sera hôte de l’évènement olympique en accueillant les épreuves de voile. D’ailleurs, en 2024, on a l’objectif d’emmener des marmots de Seine-Saint-Denis chanter avec des minots de Marseille devant le Stade Vélodrome. Et réciproquement devant le Stade de France à Saint-Denis pour un grand chœur des Jeux réunissant près de 1000 enfants.

Entre minots et marmots, entre Seine-Saint-Denis et Marseille, les points communs culturels sont nombreux ?

Kamel Dafri. Oui, parce que la Seine-Saint-Denis comme Marseille sont des terres d’émigration, des terres refuge où le monde entier s’est donné rendez-vous. C’est pour ça qu’à Marseille comme à Saint-Denis, on ne parle quasiment plus aujourd’hui de musiques du monde, mais de musiques d’ICI . Avec le Prix des Musiques d’ICI, on a d’ailleurs mis en place un dispositif national d’accompagnement d’artistes du monde qui se sont ancrés dans leur territoire et ont revisité leur patrimoine musical dans une rencontre avec d’autres musiques, d’autres artistes. Et au final, ça crée des musiques transculturelles, appelons-les comme on veut d’ailleurs, mais des musiques qui sont en tout cas le reflet vivant de la diversité. D’ailleurs, c’est bien à Marseille et en Seine-Saint-Denis que s’inventent ces musiques d’ICI !

Mais, comment s’est créé concrètement cette collaboration entre Marseille et la Seine-Saint-Denis ?

Kamel Dafri. En fait, Marseille accueillait depuis 2004 le Babel Med Music, forum professionnel et marché international des musiques du monde  dans les Docks du Sud. Un évènement qu’on a voulu ouvrir davantage à la population du quartier d’Arenc, un des plus pauvres d’Europe. Donc, on a proposé à l’équipe de Babel Med, une rencontre ouverte aux jeunes publics en accueillant une Cité des Minots dans l’enceinte même du quartier. Ensuite « Babel Minots » est devenu un Festival à part entière reconnu au niveau national. Sept ans plus tard, on travaille toujours ensemble puisqu’il y a un lien de coproduction entre la Cité des Marmots en Seine-Saint-Denis et la Cité des Minots pour mutualiser le choix des artistes, la réalisation des mallettes pédagogiques qui vont profiter aux enfants de Marseille comme de Seine-Saint-Denis. Enfin, nos équipes respectives se renforcent mutuellement lors des deux festivals : Babel Minots et Babel Mômes, son jumeau en Île-de-France organisé pour la première fois en 2021 au Point Fort d’Aubervilliers -lire notre encadré. Donc, là-aussi, on est dans une logique de chaudron permanent qui bouillonne entre le 93 et Marseille !

Avec toujours le souci commun d’ouvrir la culture, de faire résonner les musiques du monde, leurs histoires, vers le plus grand nombre ?

Kamel Dafri. Exactement… Par exemple, l’exposition « Douce France » présenté au CNAM à Paris jusqu’au 8 mai, un rendez-vous co-produit par Villes et Musiques du Monde sera aussi accueillie à Marseille sur la Friche de la Belle de Mai en février 2022. Dans cette exposition dédiée au métissage culturel, autour de la personnalité de Rachid Taha, nous avons voulu mettre en valeur le rôle des musiques de l’immigration dans la formation du patrimoine des musiques populaires qu’on écoute tous aujourd’hui. Comme un peu tout ce que nous faisons avec l’association Villes des Musiques du Monde, c’est aussi une manière de porter plus largement tout ce qu’on a développé en Seine-Saint-Denis depuis 1997 : la reconnaissance de l’importance de l’oralité, de l’univers des artistes et des cultures du monde. Et puis aussi, notre capacité de travailler sur le temps de l’école sur l’apprentissage de langues qui ne sont pas si étrangères puisqu’en Seine-Saint-Denis, on parle presque autant le bambara que le patois de Normandie. Et puis, Babel Minots comme Babel Mômes, c’est faire reconnaitre que les artistes qui font de la création pour les jeunes publics ont besoin d’être accompagnés, parce qu’ils produisent de vrais spectacles, des moments qu’on partage en famille. Et c’est d’ailleurs une manière de ramener des familles vers la culture, de les ouvrir vers de nouveaux univers.

 

Entretien réalisé par Frédéric Haxo

Crédits photo: Bruno Lévy, Franck Rondot, Christophe Laplace, Cité des marmots

 


Le Point Fort, nouveau phare culturel à Aubervilliers

Inauguré le 8 décembre dernier, le Point Fort, implanté dans l’ancien fort d’Aubervilliers au cœur d’un quartier en pleine transformation, est géré par l’association Villes des musiques du monde. Avec l’ambition d’en faire « un lieu vivant avec une vocation multiple, à la fois lieu de résidence pour des artistes, de spectacles, d’expos mais aussi de rendez-vous ludiques pour les familles de Seine-Saint-Denis. D’un ancien fort militaire refermé sur lui-même, on va faire un endroit ouvert sur le monde, résume Kamel Dafri. Ce sera aussi le nouvel épicentre du Festival des Musiques du Monde qui rayonnera à partir du Point Fort. »

Pour en savoir plus sur la programmation et les évènements du Point Fort, c’est sur lepointfort.com

Le Point Fort, 174, avenue Jean-Jaurès à Aubervilliers (93). Accès : métro Fort d’Aubervilliers (ligne 7).