Kubra Khademi, artiste in Seine-Saint-Denis de Kaboul à Romainville

Kubra Khademi, artiste in Seine-Saint-Denis de Kaboul à Romainville

En résidence au sein de la Fondation Fiminco, l’artiste et performeuse a dû fuir son pays, l’Afghanistan, en 2015 pour avoir dénoncé la tyrannie patriarcale, longtemps subie à son corps défendant. Une trajectoire que cette féministe résolue a racontée aux collégiens et lycéens de Seine-Saint-Denis réunis par le IN avec l’association Ghett’up. Portrait.

« Comment naissent mes œuvres ? Eh bien, ça peut être quelque chose qui reste longtemps dans mon esprit et qui resurgit à un moment. En fait, mon travail d’artiste, c’est parler de ma vie. L’art, c’est la vie… » L’espace de quelques mots distillés devant les collégiens et lycéens du programme 93-Express de l’association Ghett’up , Kubra Khademi dévoile de manière simple les mystères de la création artistique. En résidence au sein de la Fondation Fiminco à Romainville, l’artiste d’origine afghane, déroule à seulement 32 ans une existence qui ressemble à un roman. Sans eau de rose. Née à Kaboul en 1989, elle grandit dans un univers cloisonné où les enfants et encore moins les petites filles n’ont le droit à la parole. « Je viens d’une famille extrêmement religieuse, raconte-t-elle, ma mère a eu six filles et quatre garçons. Et dans ma famille, les filles sont surtout destinées à bien cuisiner et à être mariée très tôt. Ma mère, par exemple, s’est mariée à 12 ans et a eu son premier fils à 13 ans. »

Bref, tout comme sa génitrice et ses sœurs, elle aurait dû aussi suivre son destin de jeune fille soumise mais s’en affranchit grâce à ses rêves de création.

« Quand, j’étais enfant, poursuit-elle devant son auditoire, je répétais toujours que je voulais être artiste. En fait, je voulais être libre, mais je ne savais pas encore que ça allait m’amener ici à Romainville, à avoir un numéro de Siret pour pouvoir vivre de mon travail. »

Car, avant d’arriver en France en 2015, il va lui falloir éviter le mariage forcé à l’âge de l’adolescence et trouver son salut dans l’art en étudiant les beaux-arts d’abord à l’Université de Kaboul puis à Lahore au Pakistan. Revenue à Kaboul, son destin bascule le 26 février 2015 lorsqu’elle parcourt les rues du quartier populaire de Kote Sangi, l’un des plus peuplés de la capitale afghane, le corps enserré dans une armure de métal où pointent exagérément seins, fesses et ventre. Sous le flot des moqueries et des huées, la performance filmée intitulée « Armor » dénonce le harcèlement permanent, les abus, les mariages forcés dont sont victimes les femmes afghanes. «  Armor » raconte aussi en filigrane un pan de l’histoire de Kubra : victime d’un viol à l’âge de 5 ans, elle aurait eu tant besoin d’une armure

En octobre au Musée d’Art Moderne de Paris

« A Kaboul, dit-elle aujourd’hui, j’ai voulu perturber la domination des hommes dans l’espace public en utilisant mon corps. Mais, au bout d’à peine dix minutes, j’ai dû quitter les lieux en taxi et me cacher. » Sa performance, relayée via les réseaux sociaux de l’Afghanistan au Pakistan, lui impose de fuir. Sa vie est menacée. Une de ses professeurs de l’Université de Kaboul la fait sortir clandestinement d’Afghanistan. Direction Paris et la France.

« Pendant un mois, j’étais partout dans les journaux, à la télé, se souvient-elle. Et puis, j’ai disparu et je ne suis réapparue en Afghanistan que lorsqu’ils ont appris que je créais et exposais en France… »

Devenue Française en 2020, elle multiplie désormais les projets artistiques, accroche en ce moment ses œuvres sur les murs de de la Galerie parisienne Eric Mouchet, une série de nus féminins composés à la gouache et à la feuille d’or, s’envolera cet été pour New York pour y vivre une nouvelle résidence, reviendra à Paris en octobre prochain où elle exposera au Musée d’Art Moderne de Paris. Quinze toiles surdimensionnées où il sera à nouveau question d’identité féminine, son thème de prédilection. Une réminiscence de souvenirs d’enfance et des tabous sur la nudité, aujourd’hui brisés parce qu’exposés au regard de tous : « Dans mes dessins, il y a beaucoup de femmes qui donnent la vie, explique-t-elle, parce que c’était la vie de ma grand-mère. Elle travaillait dans les champs, elle ouvrait les jambes et il y avait un enfant qui tombait… »

Le projet de raconter la vie d’un camp de réfugiés à Saint-Denis

Une vie rude et crue un peu comme celle vécue dans ce camp de réfugiés de Saint-Denis qu’elle a visité plusieurs fois cet hiver. « Leur situation m’a touchée parce qu’ils ont une volonté de vivre, d’entretenir l’espoir malgré leurs conditions de vie difficiles. Alors, j’ai cherché ce que pouvait faire l’art face à cette situation et j’ai eu l’idée de récolter un objet de la vie quotidienne de ces réfugiés majoritairement afghans pour ensuite lier ces objets entre eux, en faire une boule et la déplacer comme une boule de bowling de Saint-Denis à Paris. Mon projet, c’est de faire bientôt une sorte de voyage d’une journée avec ces objets de la vie quotidienne pour interroger la condition des immigrés, des réfugiés, parce que, moi-même, j’en suis une. Ça fait partie de moi, de mon identité. »

Une identité multiple, libre, créatrice qu’elle raconte sans détours devant les collégiens et lycéens de Seine-Saint-Denis impressionnés par le parcours tumultueux de cette jeune trentenaire. « Son parcours m’a ému, livre Fatoumara, élève de terminale à Epinay-sur-Seine. La manière dont elle brave le danger dans son pays pour que la société ouvre les yeux sur le sexisme, sur la manière dont les femmes sont reléguées, harcelées, c’est quelque chose de fort, de très courageux. Elle s’est battue pour avoir le droit d’être une femme libre. »

Une parole qui, pour Kubra Khademi, signifie beaucoup :« Mon art doit parler à tout le monde, je suis heureuse qu’il soit compréhensible et accessible à tout le monde, apprécie-t-elle.

Les visites d’ateliers d’artiste que la Fondation Fiminco organise pour les collégiens, les jeunes publics de la Seine-Saint-Denis sont très importantes pour moi parce que j’aime expliquer la manière dont je crée, pas seulement exposer mon travail lorsqu’il est achevé… »

 

Frédéric Haxo

Crédits photo: Bruno Lévy pour le In Seine-Saint-Denis