Ladj Ly, un ambassadeur In Seine-Saint-Denis aux César
Habitant de Montfermeil, ce réalisateur qui a filmé sa ville sous toutes ses coutures fait coup double sur la liste des nominations aux prochains Césars. Pour « Les Misérables », un court-métrage sur les violences policières et le documentaire « A Voix Haute », co-signé avec Stéphane de Freitas. Portrait d’un ambassadeur In Seine-Saint-Denis très engagé.
On le connaît notamment à travers une photo, qui a fait le tour du web lors des émeutes de 2005. Le cliché le montre la mine sombre, le regard menaçant, pointant sa caméra aux allures de mitraillette vers l’objectif du photographe. Pourtant, les intentions de Ladj Ly ont toujours été pacifiques. Son arme à lui, c’est la caméra, son calibre, du 24 images par seconde pour porter la voix des sans-voix, montrer la relégation des banlieues, mais aussi ses joies, ses personnages. En un mot, sa vie.
« J’ai toujours filmé. J’ai commencé par les potes et puis j’ai élargi aux habitants de la cité, parce qu’il s’y passait plein de choses. Ca a juste pris plus d’ampleur avec les émeutes de 2005 », raconte celui qui habite Montfermeil depuis l’âge de 3 ans.
Ses premières gammes, ce réalisateur les a faites au sein du collectif « Kourtrajmé », dont il fait toujours partie. D’abord acteur, il est vite passé de l’autre côté de la caméra en remarquant l’extraordinaire liberté que lui donnait ce média. En 2001, sa rencontre avec le photographe JR, connu depuis pour ses clichés monumentaux en milieu urbain, est déterminante. Ensemble, ils affichent dès 2004 de gigantesques portraits d’habitants de la cité des Bosquets sur des tours concernées par le plan de rénovation urbaine à Montfermeil. Un travail qui, à l’époque, est considéré comme du graffiti illégal. « Aujourd’hui, on vient nous solliciter pour ces mêmes affiches. Mais je vois le côté positif : les gens se sont rendu compte que notre oeuvre valait la peine et c’est bien comme ça », juge un Ladj Ly très philosophe.
En novembre 2005, lorsque les banlieues s’embrasent à la suite de la mort tragique de Zyed et Bouna, tout ce travail fait logiquement de Ladj Ly un témoin privilégié des émeutes urbaines. Caméra au poing, il filme nuit et jour et en tire « 365 jours à Montfermeil ». Ce documentaire sur le vif montre bien la colère légitime de certains, les logiques d’affrontement et d’escalade entre deux camps, mais surtout l’aspiration à de meilleures conditions de vie de tous les habitants.
Onze ans après les événements de Clichy-Montfermeil, c’est encore ce souhait d’une vraie égalité des chances qui anime Ladj Ly. « Depuis les émeutes, il y a eu quelques évolutions. A Montfermeil, il y a eu de nouvelles constructions, les gens vivent dans des conditions un peu plus raisonnables. Mais il y a toujours la même misère sociale, le même taux de chômage. Concrètement, on attend de voir », décrypte l’enfant du pays.
Des motifs d’espoirs, Ladj Ly en a pourtant beaucoup pour la Seine-Saint-Denis. « A moyen terme, il y a le tram qui va enfin arriver à Clichy et on nous annonce le Grand Paris Express pour 2024. Et puis, il y a ces ateliers Médicis Clichy-Montfermeil auxquels je crois beaucoup ». Cette initiative, portée par l’ancien maire Claude Dilain et reprise par son successeur Olivier Klein, vise à ouvrir le monde de l’art aux regards et aux talents des quartiers populaires.
« Le cinéma par exemple, c’est encore un milieu réservé à une certaine élite. Mais les gens des quartiers ont aussi envie de témoigner, de faire des films. Nous, on essaie de rendre accessible ce milieu aux gens d’en bas », insiste Ladj Ly qui nourrit le projet d’une école de cinéma dans le cadre de cette Villa Médicis bis.
On le souhaite en tout cas aux gamins de Montfermeil, qui auraient en la personne de Ladj Ly un beau modèle. Le réalisateur prolixe vient en effet de faire coup double pour les prochains Césars, avec deux nominations : une dans la catégorie court-métrage pour « Les Misérables », fiction de 15 minutes sur les violences policières qui résonne de manière glaçante avec l’actualité. Et une autre dans la catégorie documentaire pour « A Voix haute », co-signé avec Stéphane de Freitas. Energique et dynamique, ce docu restitue parfaitement l’aventure « Eloquentia », un concours d’art oratoire lancé en 2013 à l’université de Paris 8-Saint-Denis et chasse définitivement tous les préjugés charriés par l’expression « jeune de banlieue ». Autrement dit : entièrement dans l’esprit IN Seine-Saint-Denis.
Mais déjà, Ladj Ly pense à passer au long, avec une œuvre qui garderait le même titre et qui serait une adaptation libre du roman d’Hugo. « Quand je lis ce que Victor Hugo disait il y a plus d’un siècle de la misère et des inégalités de la condition humaine, je me dis que peu de choses ont changé. D’ailleurs, les Thénardier habitaient déjà Montfermeil. » Un vrai Gavroche, ce Ladj Ly.
Christophe Lehousse