Marko93, artiste multicanaux
A l’occasion de la sortie de « Périple 3 », des balades à vélo IN Seine-Saint-Denis au bord du canal de l’Ourcq, Marko93 vous fait découvrir ses spots préférés. Ambassadeur du IN, le street-artiste dionysien a bombé ses premiers graffitis le long de l’Ourcq dans les années 80. Un canal, maintes fois parcouru à vélo, qui demeure son bain de jouvence. Portrait.
De la Bretagne qu’il peut rejoindre à l’occasion d’un festival pour poser son art du graff jusqu’aux townships de Soweto en Afrique du Sud où il aime partager ses techniques de street-artist avec les plus jeunes, Marko93 n’emprunte jamais les mêmes pistes de vie.
Pionnier du street-art à la fin des années 80, le Dionysien aime plus que tout se réinventer au fil de ses voyages et de ses différentes expériences artistiques. « J’expérimente tous les jours dans ma tête pour faire évoluer ma façon de créer parce que je peux vite m’ennuyer, dit-il. C’est pour ça que j’essaie en permanence de faire évoluer mon graphisme, mes thèmes, mes techniques. Après tout, se marre le tout frais cinquantenaire, 100 % des gagnants ont tenté leur chance ! »
Des pierres avant les fleurs
En tout cas, l’artiste multicanaux s’estimera chanceux s’il se retrouve « avant de devenir trop vieux » au pied de murs « de plus en plus grands parce que mon objectif désormais, c’est de « taper » de la façade partout dans le monde entier. De plus en plus, constate-t-il, les villes, petites ou grandes, nous offrent leurs murs à l’occasion de festivals. Ça tombe bien parce que j’aime partager mon travail avec le plus de monde possible. D’ailleurs, il y a de plus en plus de gens qui sont capables de traverser la France pour aller voir un mur… »
A ses débuts, lui aussi a souvent fait le mur, entre deux rives, celles du canal de l’Ourcq qu’il n’a jamais vraiment quittée. A Bobigny, Pantin ou Bondy, le Dionysien, éphémère élève d’une école de pub, a lâché ses premiers traits de bombe de couleurs dans le miroir vert de l’Ourcq. Au tournant des années 80 et 90, il commence ainsi « comme beaucoup, par dessiner des lettrages le long du canal au pont de la Folie à Bobigny, tout près de la ligne 5 du métro. On apprenait en faisant, il n’y avait pas de tutos sur le web ! C’était aussi une époque où on nous jetait presque des pierres alors qu’aujourd’hui beaucoup de gens sont passionnés par le street-art », glisse-t-il.
La rue qui ne restera pas sa seule piste créative. Dans les années 90, Marko93 s’intéresse également à la calligraphie et mélange écriture arabe, tags et graffiti : le voici lancé dans le « calligraffisme ». Plus tard, dans les années 2000, il se lance sur les traces du surréaliste Man Ray en expérimentant le light painting -des trainées de lumière photographiées en pause lente- et clame « In light, we trust ! »
Le kiff d’offrir…
Le voilà, cette fois, propulsé au rang de « DarkVapor, le French lighter », son autre « blaze » artistique. Pas de casque néanmoins pour lui mais une indéboulonnable casquette sous laquelle son esprit de créateur active et triture inlassablement ses méninges : à peine visionné le film culte « The pillow book » du réalisateur britannique Peter Greenaway, il court déjà pour réinventer le body painting à la pointe de son Posca, un feutre à gouache. Il pose alors sa griffe dans des séances de « body-writing » sur les corps des fêtards et fêtardes des soirées hip-hop.
En forgeant son style et en arpentant le monde, il en profite aussi pour « glisser à chaque fois un petit 93 et un petit Saint-Denis. Partout où je passe, je parle de ma ville et de mon département, raconte l’artiste devenu ambassadeur du IN dès 2018. A Saint-Denis, ajoute-t-il, je crois qu’on est un peu les Marseillais du Nord, on est hyper-fiers de notre ville. » Un « chauvinisme » qui a d’ailleurs des bases solides au 6-B, lieu dionysien et dionysiaque de création qui rassemble sur les rives d’un autre canal, celui de Saint-Denis, différentes familles d’artistes. Son havre tranquille où il respire parce que, théorise-t-il encore, « créer, c’est d’abord s’esquinter pour donner un truc. Tout simplement parce que le premier kiff de l’artiste, c’est surtout d’offrir son travail au regard des autres. »
Ce qu’il fait en 2018, en grand format le long de l’Ourcq, en coordonnant le parcours artistique de l’Eté du canal, avec le prestigieux studio de photo Harcourt. Dix kilomètres entre Paris et Bondy où il joue les commissaires d’exposition pour mêler street-art et art contemporain sur des façades d’immeubles, des palissades de chantier ou même une coque de péniche.
Un décor jamais figé
Des œuvres qu’il ne se lasse pas de revoir, comme le portrait de l’actrice et réalisatrice Aissa Maïga pont de Bondy, réalisé par Batsh, pote de graffiti « trop tôt disparu » avec lequel il a plus d’une fois « fait des murs. » Ou alors son portrait de la boxeuse Sarah Ourahmoune, championne olympique à Rio en 2016, qui pose un regard tout en douceur sur l’Ourcq du côté des Grandes Serres de Pantin. « Mais, poursuit Marko93, le canal, c’est un décor qui évolue sans cesse : au moment où vous lirez ces lignes, il y aura, sûrement, un nouveau mur en train de se créer. Et c’est ça qui est intéressant, il n’y a rien de figé. D’une semaine à l’autre, un graff’, encore plus beau, peut se superposer sur un autre. Et ainsi de suite… »
Un art vivant, vivace où il aime littéralement s’immerger, à sa façon, lorsqu’il pédale le long de l’Ourcq, souvent en musique avec l’énergie de James Brown dans les oreilles : « Tous les sens s’unissent lorsqu’on roule à vélo sur la piste du canal : on regarde, on écoute, on hume les flots. C’est du bonheur… »
Frédéric Haxo
Crédits photo : Bruno Levy
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