Pieter Ceizer, l’ambassadeur-ciseleur de mots et de formes

Pieter Ceizer, l’ambassadeur-ciseleur de mots et de formes

Dans son atelier de La Courneuve, l’artiste néerlandais joue avec les lettres et les mots pour inventer un art coloré et malicieux. Portrait d’un ambassadeur du In Seine-Saint-Denis qui sait aussi mettre les formes. A sa manière… 

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Penché sur sa table à dessins dans son atelier de La Courneuve, Pieter Ceizer semble imperméable à l’environnement extérieur. Dans un autre coin de ce vaste entrepôt reconverti en atelier d’artistes, sa compagne Camille change leur fille d’à peine quelques mois. Elle est celle qui préserve la bulle créative de l’artiste néerlandais qui a posé ses tréteaux à dessin depuis une dizaine d’années en Seine-Saint-Denis, d’abord à Pantin, puis non loin du quartier des 4 routes de La Courneuve. « Même si je suis le plus souvent concentré sur mon travail, je me sens bien ici, dit-il. Et puis, on a de la place pour créer… » 

Mais aussi étaler ses créations multiples et stocker la diffusion en série de son œuvre prolifique entre sérigraphies, t-shirts à message ou sculptures qui alimentent le web shop du Studio Ceizer où Camille rayonne entre les rayonnages et les expéditions partout dans le monde : « Disons que je suis le back-up de Pieter, sourit cette graphiste de formation. Lui a les idées et moi, je mets tout en œuvre pour que tout se passe bien derrière : je le décharge de tout ce qui est administratif, logistique. En fait, je manage tout simplement le studio de création. » 

Sous la casquette, le bouillonnement de la création...

Car, Pieter Ceizer a effectivement tendance à être hyper-créatif, à ne pas rentrer dans une seule et même case : le jour printanier de notre visite, il prépare une expo collective à Londres sur le thème de la « sécurité psychologique », se projette aussi vers l’été olympique où il interviendra dans la boutique parisienne d’un équipementier à trois bandes. Et puis, l’ambassadeur du In Seine-Saint-Denis met surtout la dernière main à la commande réalisée pour le « 9-3 » comme il aime à le prononcer dans un français mâtiné de son accent batave, quittant un court instant l’anglais. Une sculpture, on ne vous en dit pas plus pour le moment, qui jouera avec les lettres d’un « Good luck » de bon aloi puisqu’elle sera destinée aux hôtes de marque du Département pendant les prochains Jeux Olympiques et Paralympiques.  

Bref, ça bouillonne sous la casquette que le quarantenaire à l’allure d’ado a adoptée depuis sa rencontre avec l’univers du skate du côté d’Amsterdam. Il avait à peine onze ans. Un moment décisif dans son existence puisqu’il l’a placé sur la rampe de la création… Trente ans plus tard, Pieter Ceizer se définit aujourd’hui, sobrement d’abord, comme « typographe et artiste. Mon art est fait de mot, de poésie et de couleurs », répète-t-il souvent au moment des présentations. 

Et, lorsqu’il pousse un plus la description, il ajoute : « Je suis un typographe et un designer, pour moi les mots sont comme des idées. La magie des mots peut provoquer différentes émotions chez celui qui lira et regardera. Et puis, il y a souvent de petits « puzzles » dans mes œuvres. » 

Vrai, car se confronter à une création de Pieter Ceizer, c’est parfois comme tourner les faces d’un Rubik’s cube greffé à un jeu de scrabble. Des mots s’effacent dans des ombres ou se dissimulent dans des formes, créent des compositions inédites, un art oscillant entre le très abstrait et le franchement concret. Parmi ses créations les plus iconiques, il y a une sculpture en forme de lèvres où est inscrit le mot “Bisous”, un cœur qui vous tend les bras où est lové le mot « Amour ». Dans des exercices très graphiques, il a aussi relooké les bouteilles d’eau du géant mondial de cette industrie liquide ou encore celles du fabricant américain d’un soda qui sent bon le cola, imaginant sur les contours du contenant « une explosion semblable à celle produite à l’ouverture d’une bouteille de Coca, avec toutes ses bulles. Comme un feu d’artifice. » 

L’Amérique en plein face

On vous l’avait dit, ça bouillonne vraiment sous la casquette de Ceizer, sorte de César -le sculpteur- en plus juvénile, moins méridional et sans barbe foisonnante, chalumeau et baguette de soudure.

Mais, comparaison n’est pas raison, donc rendons à Ceizer ce qui est à Pieter en remontant aux sources de son inspiration. Qui viennent de l’enfance, dit-il : « En commençant le skateboard à l’âge de l’adolescence, j’ai été très influencé par la culture américaine qui va de pair avec celle du skate, c’est un univers très coloré et très graphique qu’on prend en pleine face. J’ai grandi dans cet univers et ça ne m’a jamais quitté. »

Un choc pictural qui le pousse alors à graffer un peu partout où il le peut dans les rues d’Amsterdam, avant de prolonger cette passion de manière plus académique en suivant des enseignements de graphisme et de typographie à l’Académie royale des arts de la Haye. 

Voilà comment, à notre façon, on compile donc avec beaucoup plus de lettres que le maître de l’ellipse n’en distille dans ses créations, le parcours de Pieter Ceizer. Un as du lettrage qui assume complètement de faire du chiffre, en dupliquant ses créations ou en enchaînant les collaborations avec différentes marques. Après tout pourquoi ne pas mettre ses pas dans ceux d’un Keith Haring, une des références de Ceizer. C’était au mitan des années 80 et l’artiste américain bousculait alors les codes en ouvrant son pop-shop à New-York pour y commercialiser des produits dérivés de son œuvre ultra-féconde. « Il ne s’agit pas d’être commercial mais d’être accessible, plaide à son tour le Néerlandais qui crée In Seine-Saint-Denis. Cela permet de toucher une audience plus diverse, de la personne qui peut s’offrir un tableau à celle qui achètera un t-shirt. »

Rien à ajouter. Pieter Ceizer a aussi l’art du mot… de la fin !

Frédéric Haxo
Photos : Bruno Levy