« La Seine-Saint-Denis, c’est un peu comme une ville-monde… »

« La Seine-Saint-Denis, c’est un peu comme une ville-monde… »

Ambassadrice du In, la photographe et plasticienne montreuilloise Valérie Frossard a l’habitude d’arpenter le 93. Du regard lorsqu’elle préside le récent concours photo # 93monamour ou de plain-pied dans les collèges de Seine-Saint-Denis pour une résidence In Situ. Ce qui donne une interview imagée.

« Essayer de parler des personnes que je rencontre de manière symbolique plus que de manière plastique, au-delà de l’apparence », c’est le leitmotiv de la photographe et plasticienne Valérie Frossard, 40 ans. Une « règle » qu’elle a appliqué à son travail sur la figure de l’artiste lors de sa résidence nomade « In Situ » au sein de neuf collèges de Seine-Saint-Denis lors de la dernière année scolaire. Un moment sur lequel l’ambassadrice du In revient tout en nous livrant son regard d’artiste sur le « 9-3 » où cette Genevoise a débarqué il y a une dizaine d’années. Sans plus jamais vouloir le quitter.

-Pour commencer, est-ce que vous pouvez présenter brièvement votre parcours et vos liens avec la Seine-Saint-Denis ?

Valérie Frossard. Pour faire court, je suis née en Suisse, j’ai grandi à Genève avant de partir aux Etats-Unis pour mes études pendant deux ans et puis j’ai fini par atterrir en France, à Montreuil directement, par le biais d’une série de hasards… J’étais aux Etats-Unis à Philadelphie où je suivais les cours de photographie au sein de l’Université de Pennsylvanie, mon visa expirait et je devais rentrer en Europe et une amie artiste qui vivait dans un lieu de création à Montreuil m’a invité à les rejoindre. C’était il y a dix ans et je n’ai plus jamais quitté Montreuil parce que je m’y suis sentie vraiment très bien. Tout simplement parce que c’est un territoire avec beaucoup d’artistes, très vivant.

-Et très vite, vous avez commencé à travailler non seulement à Montreuil mais aussi dans toute la Seine-Saint-Denis ?

Valérie Frossard. Oui à Villepinte, Sevran, Tremblay, La Courneuve, Pierrefitte entre autres. J’ai beaucoup travaillé en Seine-Saint-Denis parce qu’en arrivant dans le département, j’ai rencontré une compagnie de danse Mood/RV6K et on a très vite mené ensemble des projets pédagogiques mêlant différentes disciplines. Et puis, j’ai aussi travaillé pour le Théâtre Louis-Aragon à Tremblay-en-France en documentant la vie du théâtre pendant quatre années. Bref, j’ai un peu arpenté tout le territoire au gré de projets ou de résidences initiées via des Contrats Locaux d’Éducation Artistique (1).

-Votre dernière résidence en date en Seine-Saint-Denis était d’ailleurs itinérante, au cours de l’année scolaire 2018-2019, au sein de différents collèges départementaux à travers le projet de création artistique In Situ…

Valérie Frossard. Oui, la matière de départ était le contact avec 9 autres artistes en résidence. Je devais poser mon regard d’artiste pour rendre compte de leurs projets. Mon angle de travail consistait donc à poser la question suivante : « Qu’est-ce qu’un artiste ? » Question que j’ai posée aux artistes, aux élèves, et sous forme d’enquête photographique où je me suis attachée, un peu comme une détective, à détecter les signes et les effets de la présence des artistes mais sans jamais les photographier directement. Et j’ai aussi, par exemple, demandé aux collégiens de faire des photos pour raconter leur vision des artistes. Le tout a été publié dans un livre-objet qui regroupe des cadavres exquis de mes entretiens avec les élèves, les artistes et puis des images de mes reportages et enquêtes dans les différents collèges de Seine-Saint-Denis.

-Cette génération de collégiens rodés à Instagram et aux réseaux sociaux a-t-elle un rapport très décomplexé à l’image ?

Valérie Frossard. Oui, la technologie y est pour beaucoup… Mais, pendant ma résidence, je leur ai fourni des appareils jetables en argentique noir et blanc en me disant que comme ils avaient l’habitude de photographier énormément leurs vies avec leurs téléphones portables, ce serait simple pour eux… Résultat, beaucoup ont été perturbés par le fait qu’ils n’avaient qu’un nombre d’images restreint autorisées. Comme ils ne pouvaient pas prendre une infinité de photos, la peur de rater les a intimidés.

-En dehors de cette expérience spécifique, comment la plasticienne et photographe, mais aussi la citoyenne regarde-t-elle plus largement « sa » Seine-Saint-Denis ?

Valérie Frossard. Pour moi, la Seine-Saint-Denis, c’est un territoire en constante ébullition, c’est un peu comme une ville-monde. Du point de vue de l’artiste, j’y rencontre beaucoup d’autres artistes qui y sont installés ou sont de passage pour créer. On trouve dans le 93 des gens du monde entier, ce qui suscite énormément de collaborations et de brassage entre artistes. Avec aussi énormément de liens et de ponts qui sont faits avec les habitants sous l’impulsion de certaines villes ou du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis. Donc, c’est une richesse artistique sans cesse renouvelée et puis, surtout, c’est un territoire où il y a énormément d’inspiration à puiser.

-Puisque vous en parlez, qu’est-ce qui inspire votre travail photographique en Seine-Saint-Denis ?

Valérie Frossard. Les gens surtout parce que l’expérience humaine est au cœur de mon travail. Dans ce département, chaque personne ou presque est un potentiel à histoires, à des voyages aussi… Ensuite, l’architecture, l’histoire et les époques de construction qui jalonnent la Seine-Saint-Denis sont aussi un régal pour les yeux et pour l’objectif du photographe. Le passé industriel de la Seine-Saint-Denis, les lieux d’habitation marqués par différents styles d’architecture font que même au bout de dix annnées passés dans le 93, je n’en finis pas de découvrir de nouveaux endroits à photographier.

-Y compris au détour de #93monamour, le concours photo -lire ci-dessous- que vous avez présidé au printemps ?

Valérie Frossard. Oui, en présidant le jury, il y a des images qui ont émergé comme celle de ce parking à Noisy-le-Grand, très représentatif de l’architecture brutaliste. C’est d’ailleurs un lieu qui est très utilisé pour des shootings d’exploration urbaine ou de mode, mais que je n’avais jamais vu jusque-là. Au-delà de ce cliché spécifique, les quelques 700 photos reçues dans le cadre de ce concours #93monamour racontent une grande diversité de points de vue, de thèmes et d’esthétique qui peuvent exister en Seine-Saint-Denis. Et surtout ce qui faisait le lien entre toutes ces photos, c’est le grand sentiment d’attachement à ce territoire du 93.

La photo que vous avez primé lors de #93mon amour est très liée à l’architecture de la Seine-Saint-Denis ?

Valérie Frossard. Oui, on a effectivement récompensé la photo de Louiza Malki, une jeune professionnelle qui fait de l’exploration urbaine et photographie des intérieurs de bâtiment avant qu’ils ne soient détruits au moment où ils comportent encore toute la mémoire et les traces de vie et d’intimité de leurs anciens habitants. Ce cliché pris à Epinay-Sur-Seine avait une portée très universelle dans son rapport au temps qui passe, à la nostalgie, au changement. Il y a un grand potentiel narratif et poétique dans cette image où on voit un intérieur avec une fenêtre et un papier peint avec des petits footballeurs qui s’ajoute à une affiche de Scarface. Tout ça a été laissé là en plan et on pense à cet enfant qui a grandi en passant des petits footballeurs au Al Pacino de Scarface.

Cette image, comme beaucoup d’autres, m’a donné envie de continuer à me balader en Seine-Saint-Denis, en me disant qu’il me reste énormément de choses à y découvrir et à photographier…

Entretien réalisé par Frédéric Haxo

(1) Un CLEA associe localement Ministères de l’Education Nationale, de la Culture et une collectivité pour développer sur un territoire des résidences d’artiste de longue durée.


#93monamour, déclaration en images

Lancé sur Instagram par Seine-Saint-Denis Habitat, le concours photographique #93monamour présidé par Valérie Frossard avait pour double ambition de « faire émerger des talents et de promouvoir la diversité des points de vue sur le territoire de la Seine-Saint-Denis. » Du 20 mai au 16 juin dernier, 717 clichés étaient en compétition. Plusieurs ateliers d’initiation à la photographie pour les locataires du bailleur ont par ailleurs été organisés afin de faire ce cet évènement un temps d’échanges et de lien social. Côté prix du public, c’est l’autoportrait du photographe Marvin Bonheur (@monsieurbonheur sur Instagram), intitulé « 93 mon étoile » qui a convaincu une majorité d’instagrammeurs.