Quand les tiers-lieux in Seine-Saint-Denis et d’ailleurs se mettent en quatre pour exister…
En pleine expansion en Seine-Saint-Denis et dans l’hexagone, les tiers-lieux se cherchent pourtant toujours un modèle pour pérenniser leur existence sur le long terme. Mais des voies d’avenir existent comme celles formulées lors du récent « Forum Entreprendre dans la Culture » à Pantin où sous la houlette de Juliette Bompoint, directrice de Mains d’œuvres à Saint-Ouen et ambassadrice du IN, quelques-uns des acteurs du secteur ont phosphoré sur la question. Tour d’horizon de leurs solutions.
Les tiers-lieux en Seine-Saint-Denis, c’est, à ce jour, plus de 120 structures répertoriées sur la web-application tierslieux.inseinesaintdenis.fr. Qu’il s’agisse d’incubateurs, d’espaces de co-working, de tiers-lieux culturels ou de fab-lab, ce sont autant de lieux qui font vivre les talents et aident à développer les savoir-faire nombreux en Seine-Saint-Denis. Des tiers-lieux en pleine expansion puisqu’il y a 4 ans, le 93 n’en comptait qu’une cinquantaine.
Mais, cette rapide expansion n’empêche pas que ces nouveaux lieux ont aujourd’hui besoin de s’inventer des modèles de développement et surtout une économie pérenne. Autant de questions abordées du 19 au 23 octobre dernier lors du 6ème « Forum Entreprendre dans la Culture » au Centre National de la Danse à Pantin. Organisé sous l’égide du Ministère de la Culture, ce Forum a fait la part belle au futur des tiers-lieux tout au long d’une journée concoctée entre autres par Juliette Bompoint, directrice de Mains d’Œuvres à Saint-Ouen mais aussi co-fondatrice de La Main 9-3.0, société coopérative qui cherche à « réinventer de nouveaux modèles de solidarité, de démocratie et de financements » des tiers-lieux.
Petit tour d’horizon des solutions formulées à Pantin pour que les tiers-lieux continuent d’être des lieux de création et d’invention en Seine-Saint-Denis mais aussi plus largement à l’échelle de l’hexagone.
« Mettre en œuvre une dynamique nationale »
Juliette Bompoint, directrice de Mains d’œuvres à Saint-Ouen et fondatrice de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) la Main 9-3.0, solution innovante pour « créer et faire vivre des espaces d’intérêt général. »
« Un des grands sujets d’aujourd’hui dans le secteur de la culture, c’est de de pérenniser les tiers lieux en protégeant donc des artistes et un service public de la culture. C’est pour ça qu’avec la SCIC La Main 9.3.0, nous voulons impulser le projet de création d’une foncière culturelle responsable en mettant en œuvre une dynamique nationale. Et pourquoi pas aussi inspirer des politiques publiques sur cette question de la maitrise de leur foncier par les tiers-lieux. L’exemple de Terre de Liens qui est une foncière qui permet à tout à chacun de placer son épargne dans un pot commun permettant d’acheter des fermes pour y implanter des activités rurales, peut être inspirant à l’échelle de la culture. Avec un outil similaire à celui de Terres de Liens, on peut se mettre en capacité de répondre, pour ce qui concerne principalement les tiers-lieux du Grand Paris, à la problématique de la pression immobilière parisienne. Il nous faut maintenant donc construire un modèle de développement et c’est pour cela qu’on va continuer avec la Main 9-3.0 de fédérer les initiatives et les démarches de propositions constructives. »
« Créer des tiers-lieux pour l’éternité »
Vincent Jeannot, co-fondateur de Terres de liens, entreprise de l’économie sociale et solidaire qui achète des fermes pour enrayer la disparition des terres agricoles en appuyant son capital sur l’épargne de citoyens qui ont choisi d’investir dans des projets solidaires.
« Terres de liens est une entreprise de l’économie sociale et solidaire qui achète des fermes pour enrayer la disparition des terres agricoles et réduire les difficultés d’accès au foncier agricole. Ces lieux sont ensuite loués à des agriculteurs qui lancent leur activité. L’objectif, c’est de faire face aux problématiques de spéculation foncière, d’éviter que les surfaces agricoles utiles ne disparaissent sous le béton. Notre exemple montre que sur ce modèle, on peut, pourquoi pas, transférer notre expérience sur d’autres champs que l’agriculture et donc s’unir afin de créer aussi une foncière culturelle de manière à sécuriser des tiers-lieux pour l’éternité. »
« Aller à la rencontre de la population »
Renan Benyamina, directeur-délégué des Ateliers Médicis à Clichy-sous-Bois.
« Ce qui nous anime dans un tiers-lieu comme celui des Ateliers Médicis à Clichy-sous-Bois, c’est d’inventer une nouvelle manière de travailler, d’inviter aussi des artistes à travailler et à créer en permanence sur le territoire, mais aussi à rencontrer la population de ce territoire pour se laisser transformer par ce qu’ils vivent, ce qu’ils ou elles rencontrent sur leur lieu de résidence. D’ici 2025 lorsqu’on ouvrira le lieu « définitif » des Ateliers Médicis, l’idée c’est donc d’essayer de définir les usages de demain dans la culture. Et pour cela, on revendique d’être à la fois une institution financée principalement par de l’argent public mais aussi d’être un objet non identifié qui se veut communautaire et ouvert aux expérimentations de toutes sortes. »
« Se former pour exister »
Sébastien Plihon, co-fondateur de La compagnie des tiers-lieux, réseau local de coopération dans les Hauts-de-France.
« La question qui se pose aujourd’hui lorsqu’on crée des tiers-lieux, c’est de créer des référentiels de formation en s’appuyant sur des réseaux de tiers-lieu un peu partout en France. Et derrière, l’idée c’est également de former un consortium d’acteurs qui va être capable de réfléchir et de créer des synergies sur ce que c’est que de faire tiers-lieu aujourd’hui ? La question est donc de savoir comment on peut former les gens très concrètement à faire vivre et exister des tiers-lieux. Pour cela, le message à faire passer, c’est qu’il faut en fait se donner les moyens de créer une logique d’entreprenariat collectif afin que les tiers-lieux puissent vivre dans la durée. L’enjeu pour les tiers-lieux, c’est bien en effet, aujourd’hui, de pouvoir durer dans le temps, et pas forcément dans un même lieu d’ailleurs. C’est pour ça que nous avons lancé une formation certifiée par France Compétences qui s’inscrit également dans un réseau territorial. Ce qu’il faut aussi aujourd’hui dans notre secteur particulier, c’est mieux organiser le partage de savoir-faire entre tiers-lieux. »
« Les tiers-lieux, des moteurs pour faire bouger les villes »
Joaquin De Santos, chargé de projets européens au sein du Community Land Trust de Bruxelles.
« Dans le cas du Community Land Trust de Bruxelles (CLTB), nous développons des projets de logement perpétuellement abordables à Bruxelles pour des personnes à revenus limités, sur des terrains possédés en commun. Et au-delà des logements, le CLTB co-construit, avec les habitants et les associations de terrain, une ville juste et inclusive. Dans ce processus, la culture a un rôle très important à jouer pour impulser des dynamiques dans les villes à travers justement la création de tiers-lieux. »
« Pouvoir créer librement… »
Romain Silvi, membre du collectif la Déviation à Marseille, technicien pour le cinéma et réalisateur.
« A Marseille dans le quartier de l’Estaque, j’ai rejoint il y a 2 ans le collectif de la Déviation qui réunit des artistes et des techniciens du spectacle vivant, mais aussi des créateurs sur une ancienne friche industrielle qui s’appelle la Déviation et dont l’objet est de « développer et soutenir des pratiques artistiques sociales et culturelles alternatives. » L’achat de la Déviation a été possible, il y a un an, grâce à de nombreux dons et prêts de particuliers. C’est à dire sans l’intermédiaire des banques. Mais, il nous faut maintenant rembourser une partie de ces prêts. En attendant, ce qui nous gouverne, c’est la propriété d’usage, c’est-à-dire que personne n’est propriétaire individuellement du lieu. Une manière pour nous de répondre à l’enjeu de pouvoir créer librement sans aucune injonction artistique ou morale. »
« Faire des tiers-lieux un pivot essentiel de la ville »
Jean-Louis Peru, avocat au sein de Gaia, « cabinet d’avocats interdisciplinaire, dédié à l’action publique. »
« Il m’arrive fréquemment dans mon métier d’avocat d’accompagner un certain nombre de tiers-lieux lorsqu’ils sont menacés d’expulsion ou expulsés comme l’a pu l’être Mains d’œuvres à Saint-Ouen au cours de l’hiver dernier. C’est pour cela que lorsqu’on souhaite réfléchir à la pérennité d’un tiers-lieu, il me semble indispensable de travailler avec les collectivités publiques parce que ce sont elles qui orientent l’occupation du foncier et donc orientent ce que va devenir une ville. Donc, pour construire un projet de tiers-lieu, il faut réfléchir à la fois avec les décideurs des collectivités mais aussi les aménageurs et les promoteurs à la façon dont les tiers-lieux peuvent être un pivot essentiel de la ville qui se transforme ou se crée. Le défi, c’est d’insérer ce type de lieu dans une perspective d’aménagement de la ville en luttant contre la spéculation immobilière et en préservant la diversité des populations. Pour ça, l’outil de la Société Coopérative d’Intérêt Collectif, la SCIC, est un outil juridique extraordinaire puisqu’il permet de bâtir des projets et de lier la propriété du foncier à une activité spécifique. »
Propos recueillis par Frédéric Haxo