Stéphane Troussel, made in Seine-Saint Denis

Stéphane Troussel, made in Seine-Saint Denis

Le président du conseil départemental lance une série de rencontres pour valoriser un département qui l’a vu grandir.

Par Rachid Laïreche Libération 4 juillet 2016

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Stéphane Troussel reçoit dans son bureau, à Bobigny. Sans cravate, comme tous les vendredis. Le président de la Seine-Saint-Denis, jambes croisées, prend le temps de choisir ses mots. «Le combat pour l’égalité et la reconnaissance est un combat prenant. Et, ici, il y a tous les jours des combats.» Le socialiste, inconnu du grand public, lutte pour imposer un nouveau regard sur son territoire. La mission est coriace et les préjugés féroces. La délinquance colle à la peau du 93. Pareil pour la misère et le communautarisme. Ces derniers temps, les comparaisons avec Moleenbek se sont multipliées. «Quand la France a des problèmes, elle pointe ses banlieues du doigt au lieu de voir leur potentiel. En pointant du doigt pour exclure, on contribue en réalité à développer du communautarisme», dit-il, agacé.

La vie dans le département le plus pauvre de France, est «rude et tendre à la fois, elle ressemble à la vie de la France aujourd’hui». Mieux, c’est l’avenir du pays. «Il y a des difficultés, elles existent. On trouve de la radicalité, de la rage dans certains comportements. Mais ne pas reconnaître l’énergie du 93 est une erreur. De nouvelles entreprises arrivent tous les jours, les lieux culturels se multiplient et les habitants viennent de partout, le métissage est une force.» Au fil des mots, Stéphane Troussel se perd. Puis il conclut, à sa manière, et sans rire : «Le pays tout entier se prive de l’énergie du département et refuse d’ouvrir les yeux, nous avons un temps d’avance sur la France de demain.»

 

« La population a besoin de symboles forts »

Les actes après les paroles. Ce lundi, le président du 93 lance une marque territoriale, le «Made in Seine-Saint-Denis». Objectif : contribuer au dynamisme, valoriser les actions emblématiques, mettre en avant les marqueurs de réussite et améliorer l’image pour combattre des stéréotypes. C’est mignon et ambitieux sur le papier. Il s’est entouré d’ambassadeurs qui charbonnent dans les parages. On retrouve Olivier Meneux, directeur du projet Médicis Clichy-Montfermeil, Ghada Hatem, médecin-chef à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis. Ou Mathieu Bauer, directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil. D’autres rejoindront l’aventure. Stéphane Troussel tente de convaincre les sportifs et artistes qui peuplent un département «fier». Selon un sondage, 75 % de la population est satisfaite de vivre en Seine-Saint-Denis. Et 82 % d’entre elle estime que la France a une mauvaise image du 93. Un vrai décalage.

Stéphane Troussel ne monte jamais dans les tours. Les colères sont rares. Même s’il laisse parfois transparaître une forme de déception. Notamment en direction de François Hollande. Il rappelle que le chef de l’Etat a réalisé de gros scores en Seine-Saint-Denis lors sa victoire à la présidentielle. Il atteint 90 % dans plusieurs bureaux de vote. «Les habitants peuvent comprendre que la situation économique est compliquée et que le chômage ne baisse pas du jour au lendemain. Par contre, il y a certaines choses qu’ils ne peuvent pas comprendre», explique Troussel. Il pense au débat autour de la déchéance de nationalité et l’abandon du récépissé pour lutter contre le contrôle au faciès. «La question n’est pas de savoir si les relations vont brutalement s’apaiser entre les jeunes et la police. Mais la population a besoin de symbole fort et pour le moment il n’y a pas grand-chose», lâche-t-il froidement. Et d’ajouter : «Aujourd’hui, le lien entre la gauche et les quartiers est très fortement distendu.»

 

« Je ne cache pas les difficultés car la situation n’est pas top »

Pourtant, le socialiste ne marche pas sur son camp. Il ne fait jamais le «signe égal» entre la droite et la gauche. Il parle avec émotion de la rentrée scolaire 2014 : douze collèges livrés en une fois, dont le premier collège international du département. «Lorsque je parle avec les parents d’élèves, je ne cache pas les difficultés, car la situation n’est pas top. Parfois c’est vraiment dur. Mais je les préviens : la situation risque de se dégrader avec des suppressions de poste si la droite revient au pouvoir», explique Troussel. Il y a aura 53 nouveaux enseignants en Seine-Saint-Denis la rentrée prochaine. Pas une révolution, mais un progrès, selon lui.

Stéphane Troussel aborde peu le côté «perso». Un mot sur ses deux enfants et sa compagne. On gratte un peu. Stéphane Troussel a grandi à la Courneuve, perché dans une tour de la fameuse cité des 4 000. Une famille populaire et communiste. Le gamin participe à la fête de l’Huma tous les premiers week-ends de septembre. Une tradition. Il décroche le Bac, «une première pour la famille», et s’évade un moment à Paris pour poursuivre ses études. Très vite, il revient, plaque les communistes et prend sa carte au Parti socialiste. Une sorte de trahison pour les siens. Depuis, il avance en politique sous le regard de Claude Bartolone, son parrain, et vit toujours à la Courneuve, sa base.