Un bouillon de culture(s) made In Seine-Saint-Denis

Un bouillon de culture(s) made In Seine-Saint-Denis

A Romainville, le 1er octobre, la Fondation Fiminco a ouvert ses portes en grand à une quinzaine d’étudiants de Seine-Saint-Denis suivis par l’association Article 1 qui lutte contre les inégalités sociales et les discriminations. Objectif de la soirée, expliquer et décrypter les voies d’accès aux métiers du secteur culturel. Le IN Seine-Saint-Denis, partenaire de l’évènement, vous raconte la suite et les coulisses d’un « speed-jobing » catalyseur d’énergies et d’envies.

« Vous êtes ici à Romainville dans un ex-site industriel qui a vu la naissance de l’industrie pharmaceutique au moment de la naissance de la Sécurité Sociale juste après la Seconde Guerre Mondiale. Une histoire ancienne désormais puisque c’est une nouvelle aventure, culturelle cette fois, qui a démarré depuis quelques mois avec l’ouverture de la Fondation Fiminco. »

Ce jeudi 1er octobre, Joachim Pflieger, le directeur général de la Fondation Fiminco et ambassadeur du IN Seine-Saint-Denis, est l’hôte d’une quinzaine d’étudiants de Seine-Saint-Denis suivis par le programme de mentorat de l’association Article 1, lauréate de l’Appel à Agir In Seine-Saint-Denis. Sous les auspices du IN qui a impulsé et coordonné cette rencontre, il s’agit de partir à la découverte de ce nouveau quartier culturel installé sur le site des ex-laboratoires pharmaceutiques Roussel-Uclaf. Mais aussi et surtout d’amener les étudiants conviés ce soir-là, à découvrir un univers culturel inconnu ou méconnu afin de pourquoi pas susciter des vocations. Une perspective qui attise la curiosité de Leatitia Iguercha, 19 ans, étudiante en première année d’école de commerce à Rennes et habitante des Pavillons-sous-Bois : « Je ne sais vraiment pas ce que je vais faire à l’issue de mes études, donc toutes les rencontres de ce type peuvent ouvrir des opportunités, provoquer des envies, nous faire prendre conscience, pourquoi pas, que notre voie professionnelle se situe aussi dans le domaine de la culture. »

Quand le In brise la glace…

Exactement la cible de de cette rencontre préparée en commun par les équipes du In, d’Article 1 et de Fiminco. Et, lorsque le In joue les catalyseurs d’énergie, cela prend la forme de deux séances de speed-jobing qui vont participer à briser la glace entre les participants. Rapidement, l’Agenais Joachim Pflieger déroule l’itinéraire qui l’a mené des bancs de Science-Po Paris à la direction générale de la Fondation Fiminco : « J’ai accompli toute ma carrière dans la culture en travaillant successivement à l’Opéra de Paris, au Teatro Real à Madrid où j’étais en charge de tous les programmes éducatifs. Et puis, à partir de 2012, j’ai rejoint Pantin et Paris au sein de la Galerie Thaddaeus Ropac où j’ai travaillé à accueillir, pas seulement des galeristes, mais aussi le public le plus large possible : des écoliers, des familles de Pantin et de la Seine-Saint-Denis. Et puis, finalement, j’ai rejoint Fiminco en 2017 avec le défi et l’envie d’inscrire un nouveau quartier culturel ici à Romainville. »

Une carrière en résumé et en accéléré qui « donne des idées » à Morgane, étudiante en lettres modernes : « Ce genre de retour d’expériences très concret montre qu’avec de la détermination et de l’envie, on peut s’ouvrir des chemins vers le monde du travail… »

De quoi donner à la « triplette » composée du In, d’Article 1 et de Fiminco, l’envie de perpétuer ce genre de rendez-vous :  « L’idée de cette première soirée qui en appelle effectivement d’autres, glisse Clémentine Lefranc, chargée de projets culturels et des relations avec les publics à la Fondation Fiminco, c’est vraiment d’expliquer qu’être artiste, c’est aussi un métier. Et bien sûr, notre ambition, c’est également de montrer à travers les parcours de chacun qu’il existe une grande variété de métiers dans le secteur de la culture. Monter une expo, c’est tout un ensemble de compétences artistiques bien sûr, mais aussi juridiques, économiques… »

Un itinéraire qui donne des idées

Et qu’importe si les chemins d’accès ne sont pas toujours clairement tracés. Au cours du deuxième atelier speed jobing de la soirée, Julia Dartois, chargée de projets culturels à la Fondation Fiminco -lire son portrait par ailleurs- le raconte sans détours: «On peut se tromper… Donc, ne vous interdisez rien, et surtout pas de changer de voie. Moi, j’étais partie pour être avocate fiscaliste et puis j’ai fini par réaliser que ce n’était pas fait pour moi. J’avais besoin d’évoluer dans la sphère de l’art et j’y suis finalement arrivée, par des voies détournées mais en me servant de mon expérience d’avocate parce que l’art a aussi besoin du droit… »

Ou d’un zeste d’histoire puisque la soirée s’est achevée par une visite de l’exposition « Negotiating Borders », plongée artistique au cœur de la zone démilitarisée qui sépare depuis plus de 60 ans la Corée du Nord et du Sud. Un projet d’art contemporain qui vous ouvre aussi ses portes jusqu’au 31 octobre.

Frédéric Haxo

Crédits photo: Bruno Levy


Portraits

Une jeunesse en quête d’inspiration

Charafeddine, Hani, Leatitia, Ruth et Angélique suivis par le programme de mentorat de l’association Article 1 racontent, chacun à leur manière, leur découverte des métiers culturels de la Fondation Fiminco à Romainville. Impressions.

 

« Une initiative inspirante pour la jeunesse de Seine-Saint-Denis » 

Charafeddine Omara, 24 ans, étudiant en Master 2 finance de marché à l’EDHEC, Romainville.

Étudiant en école de commerce, Charafedinne est inscrit dans le programme de mentorat d’Article 1 depuis six ans, c’est donc «tout naturellement qu’il a répondu à une des invitations habituelles de l’association qui nous offre une ouverture culturelle, une connaissance sur ce qui passe parfois tout près de chez nous », sourit-il. La preuve, la Fondation Fiminco est à deux pas du domicile du jeune homme né à Turin en Italie, mais Romainvillois depuis ses huit ans. Pour celui qui se destine « à travailler en finance de marché », la rencontre organisée par la triplette In Seine-Saint-Denis, Fiminco et Article 1 a « surtout été l’occasion de découvrir la reconversion du patrimoine industriel du 93 en un lieu de culture incroyable. » Et le jeune homme qui a passé son bac aux Lilas avant d’embrayer sur une prépa scientifique dans un lycée parisien de poursuivre : « C’est très positif qu’un tel changement puisse s’opérer en Seine-Saint-Denis, que ce lieu longtemps à l’abandon renaisse enfin, ça prouve qu’on peut dans le 93 faire bouger les choses et créer ce genre de lieu inspirant pour la jeunesse. Ouvrir la culture à un maximum de personnes, c’est aussi un levier pour pousser les gens à avoir de l’ambition, à leur démontrer qu’il existe de nombreuses voies possibles pour se faire une place dans le monde de la culture. En Seine-Saint-Denis, il n’y a pas forcément que des fils et filles de cadres qui bénéficient du réseau, des connaissances de leurs parents, donc leur donner des clés en leur ouvrant les portes de la Fondation Fiminco, ce n’est pas anodin. C’est une initiative qui ne peut être qu’inspirante… »

 

« Il ne faut rien s’interdire, surtout pas la culture »

Leatitia Iguercha, 19 ans, étudiante en première année de la « Rennes School of business », Les Pavillons-sous-Bois

Après un bac ES au lycée Jean-Renoir de Bondy suivi de deux années de classe préparatoire à Meaux, Leatitia Iguercha vient d’intégrer la Rennes School of business. En Bretagne, son étiquette « made In Seine-Saint-Denis » lui a valu de subir les « stéréotypes habituels liés à la Seine-Saint-Denis, en gros une réserve de terroristes ! » Des raccourcis qui ne dissuadent pas Leatitia, grandie du côté de Pavillons-sous-Bois de continuer à défendre le « 93 que j’aime, un endroit où on se sent bien parce qu’il existe une multi-culturalité qui n’existe pas ailleurs. Un territoire qui bouge aussi à l’image de ce qui se construit à Romainville avec la Fondation Fiminco et grâce aussi aux actions du Département de la Seine-Saint-Denis. Ouvrir la culture, l’art, montrer ce que font les artistes, que la culture est aussi une voie d’épanouissement personnel ou professionnel, c’est une chance pour la jeunesse. Pour moi qui ne sais pas encore vraiment ce que je vais faire après mes études de commerce, les parcours des uns et des autres au sein de la Fondation Fiminco me donnent des pistes de réflexion, me prouvent qu’il ne faut rien s’interdire parce qu’on vient de Seine-Saint-Denis, et surtout pas l’accès au monde de l’art et de la culture. »

 

«Un champ des possibles qui s’ouvre devant nous…»

Ruth Amezian, 23 ans, étudiante en Master d’histoire de l’art, Noisy-le-Grand

Suivi par Article 1 depuis cinq ans, Ruth Amezian avait coché en grand sur son agenda le rendez-vous à la Fondation Fiminco puisqu’elle se destine après ses études en histoire de l’art à l’université de Nanterre à une carrière de chargée de projets culturels. Bref, c’est avec enthousiasme qu’elle a fait le court déplacement entre son domicile de Noisy-le-Grand et Romainville : « Découvrir qu’un lieu comme la Fondation Fiminco peut exister en Seine-Saint-Denis, ça prouve que la culture ne se fait pas qu’à Paris, apprécie-t-elle. Et c’est quelque chose d’hyper-valorisant pour la Seine-Saint-Denis, mon département. Découvrir les parcours des professionnels qui font vivre cette fondation au quotidien, c’est également très inspirant. Et, c’est aussi une excellente manière de promouvoir l’égalité des chances, une thématique qui me tient à cœur. La Seine-Saint-Denis, sa jeunesse, c’est un avenir qui s’ouvre en mode XXL mais il faut aussi l’aider à exprimer son potentiel, lui donner des clés. Moi, j’ai grandi à Noisy-le-Grand, pas si loin de Paris, mais je ne suis allé au Louvre pour la première fois que lorsque j’étais au lycée. La Joconde, je ne l’ai vue qu’à 20 ans ! C’est pour cela que j’encourage les jeunes de Seine-Saint-Denis à ne pas hésiter à pousser les portes de la Fondation Fiminco. Cette Fondation, elle doit vivre aussi avec eux… »

 

« Il n’y a pas que le Louvre ! » 

Angélique Tann, 20 ans, Paris et Evry, élève de l’école d’ingénieurs AgroParisTech

« Moi, j’ai grandi dans le quartier des Pyramides à Evry dans l’Essonne et si je n’avais pas eu accès aux Maisons de quartier lorsque j’étais enfant, je n’aurais jamais eu accès à la culture », raconte sans détours Angélique Tann, brillante bachelière à 15 ans.

Un parcours modeste mais déterminé qu’elle déroule avec lucidité : « Mon père est ouvrier, ma mère est au foyer, donc la culture n’était pas forcément une priorité chez nous. Mais, grâce à ce qui se faisait dans les Maisons de quartier de mon enfance, je me suis ouvert à plein de choses et donc aussi à l’art. C’est pour ça que je trouve très important qu’une structure comme la Fondation Fiminco puisse ouvrir l’art et les artistes sur la ville. Après tout, il n’y a pas que le Louvre en matière de culture ! Pour moi, qui suis aussi investie au sein d’une association d’étudiants franco-japonais, la Fondation Fiminco est justement un endroit qui me permettra de présenter la France d’une manière un peu différente aux Japonais. Les amener à Romainville dans ce lieu très spécial architecturalement, ce sera l’occasion de casser un peu les clichés sur la Seine-Saint-Denis et de leur montrer une autre facette de la France, loin de l’image d’un pays hyper-bourgeois pour ceux qui ne se limitent qu’à découvrir la vitrine des musées parisiens. La France, c’est aussi sa banlieue et la Seine-Saint-Denis, et c’est bien, très bien même, de montrer qu’il s’y passe plein de choses. Et des belles choses… »

 


Itinéraires professionnels

De l’art de se frayer un chemin vers un métier

Comment venir à la culture et en faire son métier ? Les réponses par l’exemple avec Clémentine Lefranc, Julia Dartois et Anna Tomaszewski actives au sein de la Fondation Fiminco. 

 

Clémentine Lefranc, l’art de rebondir

Clémentine Lefranc, a d’abord voulu entrer dans la danse et puis une blessure l’a obligée à revoir ses rêves d’entrechats virevoltants. Exit sa carrière de danseuse professionnelle. « Mais, je n’ai pas abandonné pour autant mon envie d’évoluer dans le domaine de la culture, sourit celle qui n’est pas encore trentenaire. Je me suis donc dirigée vers un Master communication, médias et industries créatives à Sciences Po Paris, ce qui m’a finalement permis d’intégrer l’Opéra de Paris comme chargée des relations avec le public. C’était une manière de retrouver l’univers de la danse, mais davantage côté coulisses… »

Une première expérience professionnelle suivie d’une autre au sein de l’établissement Paris Musées comme chargée de mécénat et de partenariats qui l’a finalement conduite à intégrer la Fondation Fiminco en septembre 2019. Depuis, elle œuvre à Romainville à « rendre la culture accessible à un maximum d’habitants du territoire de Seine-Saint-Denis en organisant des visites guidées du site, en valorisant nos résidences d’artistes, en organisant des ateliers artistiques avec les enfants des écoles du territoire. »

Pour cette fille d’un photographe et d’une journaliste qui a grandi du côté d’Avignon, c’est presque un sacerdoce d’expliquer ce métier de chargée de projets culturels et des relations avec les publics « où je ne m’ennuie jamais, où on est constamment tourné vers les autres et la meilleure manière de faire entrer l’art dans la vie d’un maximum de personnes. »

 

Anna Tomaszewski, une artiste à suivre à la trace

Un père critique littéraire, une mère spécialiste de la tapisserie et Anna Tomaszewski, 31 ans, a fini par « glisser vers les beaux-arts presque naturellement, sans presque m’en apercevoir », juge-t-elle avec un brin de recul sur son parcours. Lauréate du prix de la jeune création de la ville de Nice en 2014, l’artiste plasticienne originaire du Nord de la France vit aussi « une sortie d’école plutôt douce. Grâce à ce Prix, j’ai enchaîné les expériences en vivant, par exemple, une résidence de plusieurs mois en Chine à Jingdezhen, la capitale de la porcelaine. »

Et depuis cette rentrée 2020, elle est en résidence pour onze mois au sein de la Fondation Fiminco à Romainville. L’occasion de s’immerger en Seine-Saint-Denis en menant « un travail sur la trace que l’homme laisse sur son environnement. » Pour cela, la plasticienne récolte des objets -cailloux, papiers…- au gré de ses pérégrinations dans Romainville et « mène un travail d’enquête afin de comprendre pourquoi et comment cet objet a été déformé avant d’utiliser l’art de la céramique pour incruster sa trace. »

Tout un processus de création qu’elle expliquera fréquemment ces prochains mois lors d’ateliers ouverts aux scolaires et aux habitants du quartier du Bas-Romainville. Car son credo et sa philosophie d’artiste, c’est bien évidemment de laisser aussi sa propre trace : « L’art, ça se partage ! Évidemment qu’on ne crée pas que pour soi… »

 

Julia Dartois, un droit fil vers la culture

En 2008, Julia Dartois n’a que 17 ans et va passer son bac. Bref, sa vie est devant elle… Mais, elle s’arrête pourtant l’espace d’un moment de grâce « abasourdie par la visite de l’exposition consacrée au peintre russe Vassily Kandinsky à Pompidou. Il y avait les œuvres bien sûr, mais aussi tout ce qui entourait l’expo, son ingénierie, la scénographie, ce qu’elle racontait de l’artiste… »

Ce moment de félicité passé, la jeune lycéenne élevée non loin de Strasbourg s’engage dans des études de droit. « J’adorais les expos, le théâtre, l’art en général, mais à un moment donné il a fallu choisir une voie. Je me suis dit que je voulais devenir avocate, mais avocate pénaliste pour plaider, défendre des hommes et des femmes… »

Finalement, elle devient avocate fiscaliste et intègre même un cabinet parisien avant de s’apercevoir que « ce n’est pas fait pour elle. » Pas grave, elle se réoriente vers le secteur culturel via différentes expériences professionnelles pour le French May Arts Festival à Hong-Kong ou au sein du Musée Picasso à Paris. Sa double formation en droit et en économie à HEC lui permet ensuite de rejoindre la Fondation Fiminco en 2018 afin d’y suivre les artistes en résidence et de gérer les cordons de la bourse des budgets de production.

Un parcours pas forcément rectiligne qui la pousse à expliquer dès qu’elle le peut que « rien n’est impossible et rien n’est figé dans un parcours étudiant. On peut très bien avoir mené des études de droit et travailler dans la culture parce que c’est un secteur d’activités qui a besoin de s’entourer d’un maximum de compétences, en droit, en comptabilité, en communication. La culture, ce sont bien sûr les artistes, mais c’est aussi aider les artistes à créer, les entourer pour faciliter la création… »