Vizu Vizu, une édition 2024 en format carré

Vizu Vizu, une édition 2024 en format carré

La deuxième édition du concours d’émergence de jeunes talents dans les métiers créatifs et de la publicité a récompensé un quatuor de lauréats. Retour sur leur parcours à l’occasion du vernissage de l’exposition des neuf finalistes, le 6 juin, aux Magasins généraux de Pantin. 

« On a eu des délibérations passionnantes, à l’image des projets que tous ces jeunes artistes nous ont proposés pour cette deuxième édition de Vizu Vizu. Mais, finalement, il a fallu trancher et choisir des projets qui font écho aux bouleversements de la Seine-Saint-Denis, un territoire qui devient désormais le centre de beaucoup de récits artistiques… » 

Un dernier court discours pour faire monter le suspens, le 6 juin dernier aux Magasins généraux de Pantin et Rémi Babinet, président-fondateur de l’agence de publicité BETCet des Magasins généraux, donne enfin le signal pour révéler les lauréats de la deuxième édition de Vizu Vizu, concours d’émergence de jeunes talents créatifs In Seine-Saint-Denis, dans les catégories photo, illustration et vidéo.  

La fin d’un suspens, mais le début d’une autre histoire pour les quatre jeunes artistes de 18 à 30 ans qui devaient exposer en photo, vidéo ou par l’illustration leur « vision des Cultures Urbaines aujourd’hui en Seine-Saint-Denis. »  

A la clé du concours organisé par BETC, Rouchon Héritage et le In Seine-Saint-Denis, il y a désormais l’exposition de leurs créations aux Magasins Généraux et au Studio Rouchon à Saint-Denis, mais aussi des commandes d’œuvres réalisées pour le IN. Ou encore des séances de mentorat par des professionnels de l’image.  

«Un concours qui ouvre aussi des rêves », a conclu Marvin Bonheur, membre du jury de Vizu Vizu, et photographe révélé par sa série sur les lieux hantés du 93. «Parce que ce concours est aussi là pour s’autoriser à être un artiste. En tout cas, ne pas s’en empêcher…» 

« L’image, une question essentielle pour la Seine-Saint-Denis » 

Stéphane Troussel, président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, membre du jury de Vizu Vizu.  

« Pour un territoire comme la Seine-Saint-Denis, qui est dans une période de transition et de transformations, la question de l’image est aujourd’hui essentielle. C’est pourquoi, entre autres à travers ce concours Vizu Vizu, nous voulons montrer à quel point les regards artistiques qu’on peut porter sur notre département peuvent être multiples. Et, c’est ce qui fait la force de cette édition 2024 de Vizu Vizu qui offre différentes manières de voir les identités plurielles qui se sont toujours rassemblées en Seine-Saint-Denis. » 

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VIZU VIZU, LES LAUREATS

CATEGORIE VIDEO  

Marine Cottarel, la caméra qui transporte

Sa façon inattendue de filmer le quotidien de la ligne du tramway T1 entre Saint-Denis et La Courneuve a valu à cette Dionysienne de s’imposer dans la catégorie vidéo. Itinéraire d’une passionnée.

« Pour réaliser ce film, j’ai commencé par une sorte de chasse aux trésors en dénichant entre Saint-Denis et La Courneuve, des portraits peints ou affichés sur les murs des deux villes. Ensuite, j’ai voulu « mettre de la chair sur ces portraits » en allant interroger des voyageurs du tramway T1 pour qu’ils me racontent leurs meilleurs souvenirs de ces voyages en tram’. En creusant un peu, j’ai trouvé pas mal d’histoires drôles qui font toute la pétillance de ce film… » 

Voilà, résumé par sa réalisatrice Marine Cottarel, l’itinéraire créatif du film d’un peu plus d’une minute, qui a remporté les suffrages du concours Vizu Vizu » dans la catégorie vidéo.  

Une pérégrination en tramway qui raconte aussi un peu de la trajectoire de la jeune femme de 24 ans, grandie dans la Cité des rois et actuelle Courneuvienne. « Jusqu’à 21 ans, j’ai fait toute ma vie à Saint-Denis, avant de partir habiter à La Courneuve, raconte-t-elle. C’est aussi à Saint-Denis que j’ai fait mes études de cinéma jusqu’en licence à l’Université Paris-8. Depuis, j’ai monté mon entreprise de vidéos publicitaires, une activité que je partage avec le développement de projets plus personnels que j’essaye de présenter en festival ou lors de concours comme Vizu Vizu. »  

Dans ses tiroirs, un documentaire sur la démocratie 

Pour Marine Cottarel, c’est la suite, en version, professionnelle d’une passion suscitée par un « père très cinéphile. Lorsque j’allais chez lui le week-end, le cinéma était la sortie obligatoire. Il m’a transmis l’amour des films », dit-elle à propos de son paternel, professeur des écoles. C’est comme ça que je me suis retrouvée à écrire mon premier scenario dès mes 13 ans. » 

Un projet précoce qu’elle n’a jamais lâché, réalisant son premier court métrage en 2021 dans le cadre du Festival international « Génération Court » porté par l’Office Municipal de la Jeunesse d’Aubervilliers : « Le court s’appelait « Le réveil d’une exilée » et il m’a permis d’apprendre à gérer une équipe, à recruter des gens. A travailler aussi avec une scénariste », rembobine-t-elle.  

Une expérience qu’elle ne demande désormais qu’à réitérer puisque ses tiroirs sont « remplis de projets. Mon prochain objectif, ce serait de réaliser un documentaire sur la politique en France qui raconterait la démocratie et la politique vues par les habitants d’Aubervilliers et de La Courneuve. Mais, pour cela il faut que je me finance grâce à ma société de réalisation de films publicitaires. Et puis, j’espère aussi que mon succès lors de ce Vizu Vizu va provoquer plein de rencontres avec la réalisation de films à la clé. » 

Car, Marine Cottarel n’a pas terminé de nous transporter avec sa caméra… 

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CATEGORIE ILLUSTRATION 

Sylvie Lee, le dessin pour tracer de grands desseins… 

 Spécialiste de l’urbanisme, cette jeune franco-coréenne, renoue via l’illustration avec la figure de son grand-père, peintre coréen passé par les Beaux-Arts hexagonaux.  

Franco-coréenne, née dans l’Est de la France à l’occasion d’une mission paternelle dans l’usine hexagonale d’un groupe industriel sud-coréen, Sylvie Lee, récompensée dans la catégorie illustration de Vizu Vizu, a en quelque sorte renoué avec son enfance à cette occasion : « L’art a toujours été un fil rouge dans ma vie, raconte la jeune femme de 28 ans. Mon grand-père, Lee Chong-Hyock, était venu en France pour faire les Beaux-Arts. Et, toute petite, je le voyais peindre pendant que je dessinais ou que je peignais à côté de lui. » 

Grandie à Aulnay-sous-Bois, autre point de chute professionnel de son père, elle se tourne cependant vers l’urbanisme, en intégrant l’École urbaine de l’Institut d’Études Politiques de Paris après son baccalauréat : « J’ai grandi dans un environnement marqué par la ségrégation et les inégalités qui m’a amené à faire le choix de m’investir dans le domaine de l’aménagement urbain », résume encore la jeune femme, chargée de mission depuis 2020 au sein de Citallios, aménageur francilien en charge d’opérations de renouvellement urbain à Savigny-sur-Orge (Essonne), ou Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine). 

A la manière de Matisse… 

Une vie professionnelle bien remplie qui ne l’empêche pas de garder une place et du temps pour le dessin et la peinture. Pour l’édition 2024 de Vizu Vizu, elle a ainsi composé une « illustration très colorée avec beaucoup de formes abstraites, qui figurent l’univers, la terre, le soleil et la lune. Autour, je fais s’élancer une ronde de personnes, de différentes couleurs, qui se tiennent la main. C’est pour moi une référence à « La Danse » d’Henri Matisse » en même temps qu’une ode à la différence et au partage représentée par la culture urbaine. » 

Et, en filigrane, c’est un peu de « sa » Seine-Saint-Denis qu’elle donne aussi à voir : « C’est vraiment ce que je voulais montrer du 93 et de la banlieue : représenter cet environnement tellement multiculturel où j’ai grandi et appris que même si les autres peuvent être différents en termes de religion, de culture, de nourriture, on peut apprendre à vivre avec les uns avec les autres. Et donc à respecter différents modes de vie, d’autres opinions. Pour moi, la Seine-Saint-Denis est clairement le territoire névralgique où se réunissent tous ces enjeux de société, où on peut montrer comment mieux vivre ensemble, avec nos différences. » 

Un discours inspirant et positif qu’elle est déjà « heureuse de porter en étant lauréate de Vizu Vizu. Parce que je trouve très important qu’on mette en avant les parcours de jeunes qui ont grandi, baigné dans un environnement un peu « creuset ». C’est en multipliant les exemples comme les nôtres qu’on fera aussi avancer une société où on reconnait l’altérité et les valeurs du partage. » 

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COUP DE CŒUR DU JURY

Leïla Aït Mekourta, une culture béton 

Montreuilloise d’adoption, cette étudiante en école d’art a grandi en bordure de périphérique. Un univers bétonné qui a aussi construit sa réflexion artistique.  

Des morceaux de béton sur lesquels sont reproduits des transferts de photos, fragments de l’album de vie de sa mère qui a navigué entre la Kabylie et les hauteurs de la porte de Charenton où Leïla Aït-Mekourta, 26 ans, a passé la majeure partie de sa vie « avec vue sur le périphérique et la bretelle de l’autoroute A4 » : c’est ce « Déjeuner sur béton » qui a valu à l’étudiante de « L’École d’Art » de Montreuil de se voir attribuer le prix « Coup de cœur du jury » de la 2e édition de Vizu Vizu.  

« Cette œuvre, détaille la jeune femme, est une manière de questionner mon passé un peu mystérieux dont ma mère, qui m’a élevée seule, m’a très peu parlé. De son histoire, je ne connais que des bribes qui prennent place sur ces morceaux d’un béton qui a aussi construit ma vie. A côté de cela, j’utilise la photo de manière très fonctionnelle, parce qu’elle m’aide à me créer des souvenirs qui me manquent. C’est d’ailleurs pour cela que j’adore les albums-photos ! » 

L’album de la vie de Leïla, lui, se déroule de façon assez linéaire avant une bifurcation au dernier moment : « J’ai grandi entourée de livres parce que ma mère était bibliothécaire et je me destinais à devenir professeur des écoles parce qu’il fallait bien trouver un métier. Et puis, surtout, devenir artiste n’avait pas de sens pour quelqu’un comme moi de la petite classe basse (sic)… »  

Ne plus rien s’interdire 

Pourtant, juste avant de passer le concours de professeur des écoles, Leïla décide enfin d’assumer son côté créatif, son envie de sortir des cases qui lui semblent assignées : « Résultat, je suis partie vivre à Montreuil et je me suis inscrite en cycle sup’art à « L’École d’Art ». En ce moment, je finis mon mémoire sur le thème du « rôle des images et des symboles dans la construction des identités et des mémoires des enfants d’immigrés » et je continuerai à me former l’année prochaine aux Beaux-Arts de Nantes. » 

Avec la ferme conviction désormais qu’elle peut devenir une artiste à part entière : « C’est déjà formidable que Vizu Vizu s’intéresse à moi », dit-elle avec une humilité qui ne semble jamais la quitter. En tout cas, ce concours est un formidable tremplin pour les jeunes de la Seine-Saint-Denis. C’est une manière de leur dire qu’il ne faut rien s’interdire. »   

Beaucoup plus résolue, elle dit aussi, un peu plus tard, en avoir « fini avec ce cliché des artistes qui ne servent à rien. Aujourd’hui, je suis persuadée que les artistes peuvent être des passeurs, transmettre par l’art des histoires « silencieuses » comme celle de ma mère. Désormais, je suis capable de dire que je veux être une artiste plasticienne. » 

Et, encore mieux, elle le démontre… 

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CATEGORIE PHOTO

Armony Dailly, au-delà des clichés  

C’est du côté de Sevran, la ville de son enfance, que cette trentenaire a commencé à accumuler ses premières prises de vue sur des appareils jetables. Une passion transmise par sa mère qu’elle poursuit en « shootant » au féminin.   

« Comme j’étais plutôt nulle à l’école, j’ai mis un peu plus de temps que les autres à émerger. Mais, là j’ai 30 ans et je me sens bien dans ce que je fais et ce que je suis. C’est incroyable d’être lauréate de Vizu Vizu, mon tout premier concours photo ! »  

Pour reprendre le titre de sa série photo « Meufs du bitume », Armony Dailly, est une « meuf de Sevran qui habite aujourd’hui à Drancy et qui se sent fière d’être de Seine-Saint-Denis, ce qui n’a pas toujours été le cas… » 

Mais, cette autodidacte « qui a compris en stage d’assistante-photo tout ce que je n’ai pas acquis au cours de mes études de cinéma » a depuis appris à mieux « shooter la vie banale de mes copines de banlieue. Et à leur donner une vraie représentation au-delà des clichés qui, d’ailleurs, nous effacent toujours derrière les mecs. Moi, ce que j’ai voulu créer, c’est une ode aux banlieusardes, qu’elles soient transgenres, racisées, peu importe ! Ma première envie, c’est de montrer que les filles de banlieue ne sont pas seulement des soumises ou des « cailleras »…  

Une fibre photographique féminine et féministe  

Une série d’une quinzaine de photos prises dans l’espace public à Bobigny, Montreuil, Clichy-sous-Bois, Saint-Denis ou Aubervilliers que celle qui commence à vivre de ses photos, à travers des campagnes de pub ou des publications dans la presse, compte bien prolonger en continuant de documenter la vie de ces mêmes jeunes femmes : « Je leur demande juste de venir comme elles sont dans la vie, maquillées ou pas, habillées comme elles le ressentent. A partir de là, je suis juste là pour les sublimer grâce à la technique, à l’utilisation de l’argentique et un peu de mise en scène… » 

Avec enfin une touche sensible très forte dans sa manière d’aborder la photographie qu’il faut peut-être relier à sa mère Isabelle, aujourd’hui décédée : « C’est elle qui m’a donné le goût de tout photographier parce qu’elle était toujours derrière son objectif. Ce qu’elle faisait était hyper-esthétique et en me confiant mes premiers jetables à l’âge de six ans, elle a certainement provoqué quelque chose chez moi. »  

Une sorte de « déclencheur » diraient même les photographes.  

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Frédéric Haxo 

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