En Seine-Saint-Denis, les déchets gourmands sont leviers de l’insertion

En Seine-Saint-Denis, les déchets gourmands sont leviers de l’insertion

Retour sur la « Table des idées » organisée à l’occasion du Salon International de l’Agriculture par le In Seine-Saint-Denis avec les acteurs de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Une rencontre autour de leurs expériences pour raconter comment dans le 93 les « déchets gourmands sont aussi les leviers d’une économie sociale et solidaire. » Tour d’horizon de leurs solutions et interrogations.

« Parlons de ressources, plutôt que de déchets ! »

Samanta Vergati, créatrice d’Altrimenti, conserverie de produits artisanaux à partir de légumes déclassés

« Plutôt que de parler de déchets qui viennent soutenir l’économie sociale et solidaire, je préfère retenir le terme de ressources. En effet, étymologiquement, déchets vient de déchoir, soit quelque chose qui est tombé à la fin de la chaîne alimentaire ou humaine. Donc, parler de déchets, c’est parler de quelque chose qui n’a plus de valeur économique, sociale, environnementale ou culturelle. Or, que font les acteurs de l’économie sociale et solidaire ? Ils redonnent de la valeur à ce fameux déchet qui est finalement une ressource qui recèle beaucoup de valeur ajoutée. Ainsi, quand on récupère des fruits et légumes souvent déclassés parce que leur esthétique déplait aux consommateurs, on leur redonne de la vie. Une vie qui permet de recréer de la valeur sociale en mettant en place, comme on le fait avec Altrimenti, des ateliers culinaires de qualité ou la distribution de paniers solidaires en Seine-Saint-Denis. Et, en parallèle, on crée également de l’emploi pour des personnes en difficulté via la conserverie Altrimenti. Conclusion, on évite à des personnes de tomber plus bas avec un même fil conducteur : le plaisir du goût et des papilles ! »


« Un rôle d’animation sociale et d’éducation alimentaire »

Benoit Ménard, trésorier de l’association Rapid à Pierrefitte qui porte le Restaurant solidaire et d’insertion Le Bocal

« Même si notre restaurant Le Bocal est un projet qui cherche encore à être équilibré financièrement, il faut bien voir qu’il porte le modèle social de notre action d’insertion. Aujourd’hui, 80 % des produits qui entrent dans notre cuisine sont issus du recyclage alimentaire. Ce qui nous a aussi permis à l’époque du confinement du printemps 2020, lorsque le restaurant est resté fermé, de distribuer de la nourriture à près de 400 familles en situation de précarité alimentaire.

A côté de cela, Le Bocal joue un rôle d’animation sociale et d’éducation au bien manger puisque nous mettons régulièrement en œuvre des ateliers favorisant une meilleure qualité de nutrition. »


« Un modèle encore fragile »

Charlotte Porez, directrice de l’association Re-Belle à Aubervilliers, productrice de confitures cuisinées à partir d’invendus de supermarché

« Avec Rebelle, on collecte depuis maintenant cinq ans les invendus des magasins alimentaires pour fabriquer nos confitures et on a constaté au fil du temps des vrais changements de comportement dans la gestion de ces magasins : c’est-à-dire que leurs acheteurs, leurs directions ont de plus en plus tendance à ne plus sur-commander, à faire en sorte d’arrêter de générer autant de gaspillage, notamment pour les fruits et légumes. D’un côté, c’est évidemment génial de constater ça pour l’avenir de la planète et de l’autre, à plus long terme, cela questionne l’avenir de notre activité. Pour le moment, ce n’est encore que le début d’un mouvement qui a vraiment pris corps en 2020 avec la crise sanitaire, mais il y a l’amorce de ce changement. Et, pour nous, cela démontre tout simplement que notre modèle économique est encore fragile. »


« Une valeur ajoutée sur le goût et la qualité »

Ranwa Stephan, créatrice des Délices de l’ogresse, conserverie artisanale bio et éthique à La Courneuve

« Dans nos pâtes à tartiner comme dans nos confitures, tout est bio chez parce qu’on travaille avec des produits de saison en récupérant nos fruits et légumes auprès d’un grossiste : ce sont des produits trop murs ou abimés mais qui sont tout à fait récupérables. Après, sans l’ajout d’arôme artificiel, ni d’additif ou de conservateurs, on donne une vraie valeur ajoutée sur le goût et sur la qualité : nos produits sont sains et bons et en plus on le fait dans une logique de zéro déchet.

De la même façon, l’Ogresse s’investit pour valoriser une économie solidaire d’abord en payant un juste prix aux petits producteurs ou agriculteurs locaux avec qui nous travaillons. Ensuite, en travaillant à leurs côtés pour leur proposer notre offre « A façon », une solution de transformation de leurs surplus, par exemple en plats végétariens. Mis bout à bout, c’est ce qui fait que l’alimentation peut être aussi un moyen de transformer un système qui sacrifie notre environnement, mais aussi l’humain. »


« Le besoin de mutualiser des solutions »

Louise Fourquet, présidente et cofondatrice de Baluchon, traiteur solidaire à Romainville qui développe avec Emmaüs Défi, le projet Le Radis -Restauration Anti-Gaspi à Double Impact Social 

« Dans le secteur de l’antigaspi, nous nous heurtons aujourd’hui à la problématique de la mise en qualité des légumes. Par exemple, le légume hors calibre tout biscornu et encore plein de terre va couter trop cher en main d’œuvre pour être simplement brossé et récupéré. Donc, certains producteurs disent aujourd’hui clairement que ça leur coute moins cher de laisser pourrir ces légumes au bout de leur champ plutôt que d’organiser un enlèvement et une distribution. C’est pour cela que pour continuer d’alimenter nos filières d’approvisionnement antigaspi, nous arrivons à un moment où nous devons faire en sorte de mutualiser des moyens de collecte avec des structures engagées dans la même voie d’une économie sociale et solidaire. Parce qu’on a peut-être de la matière première qui coûte moins cher, mais il faudra toujours valoriser et payer le travail. »

Propos recueillis par Frédéric Haxo

Crédits photo: Bruno Lévy pour le In Seine-Saint-Denis