L’Autre champ, l’association qui cultive le commun dans un jardin in Seine-Saint-Denis
Depuis 2015, les habitants du quartier du Vert Galant, à Villetaneuse, ont formé une petite communauté autour d’un bout de terre, et de l’idée de la faire fleurir et fructifier. Une histoire de boutures, d’auto-organisation et d’amitié.
C’était un petit jardin, qui sentait bon le tramway dyonisien… Découvert à Villetaneuse un mercredi d’octobre baigné de soleil, juste avant le reconfinement, il y a mille ans, quand le souffle du vent dans nos cheveux était encore agréable. Sur cette pointe de terre coincée entre une rue pleine de pavillons coquets, et les rails du tram, Saïdou et Gabriel, en 5e, au collège Jean-Vilar, devisent tranquillement. » J’adore. Je viens à chaque évènement, j’aide à creuser, je regarde si ça pousse bien. Je viens aussi pour voir mes amis », expose Saïdou, le menton appuyé sur une pelle. C’est son copain Gabriel qui l’a amené là, la première fois. « On jardine, on plante, on arrose » égraine Gabriel alors que Joachim, son frère de cinq ans, s’accroche à son mollet. Eux ont grandi dans les choux, emmenés là par leur maman, Penda, l’une des habitantes à l’initiative du collectif d’habitants du « Ver Galant », qui prend par aux activités menées par l’association l’Autre Champ qui a investi cette parcelle de 700 m2. Pendant que les enfants s’ébattent, des dames trient des graines de tomate ou de coquelicots en plein air, assises sur la grande table en bois, en bavardant. « . Vous voyez, les graines, il faut les faire moisir un peu, les trier, et puis les faire sécher. Au début, j’étais timide. Penda m’a invité à une séance d’essai, et je n’en ai plus raté une seule. J’habite dans une tour, j’ai tout le temps des migraines. Venir ici, ça me déstresse », détaille Fatma.
Mains vertes
Plus loin, Aziz, grand gaillard aux cheveux gominés, grille une cigarette avant de se mettre au travail. « J’ai connu le jardin grâce à la nounou de ma fille, qui l’emmenait le mercredi après-midi pour participer aux ateliers. Ca m’a plu, c’était convivial, il y avait les enfant, le jardinage ». Et Aziz s’y connait en jardinage : son père, « au bled », travaillait dans une pépinière. « Il m’avait appris à planter, à greffer, à faire des boutures. Quand la boîte de sécurité qui m’employait a coulé il y a deux ans, je me suis retrouvé au chômage. L’association « Autre champ » m’a proposé un contrat en insertion, en attendant de trouver mieux », raconte l’homme à la main verte.
Aziz propose avec entrain de nous faire faire un tour du propriétaire. Kiwitier, spirule, piscine à légumes, brocolis, choux, pastèques, une vingtaine de variétés de tomates, des fraises, une serre pour faire pousser les semis et les distribuer aux voisins… Le tout bordé de fleurs de toutes sortes. Il y a même un coin pour les orties, dont on voit dépasser un petit panonceau annonçant une « ZAD » (zone à défendre), qui sert à produire du purin, une sorte d’engrais. Le fils de jardinier est insatiable : jamais on n’aurait cru qu’un si petit terrain puisse regorger d’une telle diversité.
Ciné club et atelier jardin
Sur ces 700 m2, « Rien ne se perd », nous assure Aziz avant de chiper le portable de sa fille Lahna, désormais adolescente, afin qu’elle quitte des yeux son écran pour mettre les mains dans la terre. Plus loin, on retrouve Saïdou et Gabriel agenouillés, avec Fatemeh, en service civique dans l’association. Tous sont dans les starting-blocks pour planter les oignons. Plutôt qu’un tutoriel, c’est Charles qui détaille les étapes : « vous creusez de petits puits, vous plantez le bulbe et vous rebouchez en laissant dépasser la tête de l’oignon », détaille-t-il.
En aidant son cadet, Joachim, à planter la bêche dans la terre pour la retourner, Penda nous conte l’histoire de ce petit éden. » J’allais tous les mercredi à un atelier de la PMI, et je croisais Samuel et Charles, qui animaient déjà un atelier jardin au Centre social Clara Zetkin », relate l’ancienne préparatrice de commande. En 2013, Samuel finit ses études de cinéma à l’université voisine et anime un ciné club à Villetanneuse, où il rencontre Charles. Alors que la ZAD bat son plein, les deux jeunes se questionnent à propos de l’agriculture, des manières de produire, de se nourrir, du rapport à la terre des citadins. En plus du ciné-club, ils commencent à animer un atelier jardin au Centre social Clara Zetkin. Charles apprend les rudiments de la botanique dans le jardin de la maison où il vit en colocation.
Le terreau de la solidarité
En 2015, la construction du tramway oblige la mairie à préempter les parcelles alentour. Elle en confie une à l’association de Samuel et Charles, afin qu’ils en fassent un jardin, « le jardin partagé de Villetaneuse ». Samuel et Charles acceptent, à condition qu’il soit partagé, et s’appuie sur une dynamique de quartier. Ce deal passé, les deux jeunes rassemblent les bonnes volontés du Ver Galant. « Pendant des semaines, on a déblayé le terrain. On trouvait des piles, des radios, des tancarvilles, tout un bric-à-brac. On creusait jusqu’à trouver un sol propre », raconte Penda. Le jardin peut alors s’épanouir : « On a bataillé pour obtenir un point d’eau et l’électricité. Au début chacun avait sa parcelle sur le jardin. Au bout d’un moment, on a préféré fonctionner en collectif et se partager les récoltes », poursuit la semeuse.
Tous les mercredi, de 14 à 16 heures, les familles sont invitées à jardiner dans le cadre d’ateliers. Bientôt, un nouveau créneau s’ajoute, au moment du goûter, le vendredi après-midi. Peu à peu, le jardin devient un lieu de sociabilité incontournable du quartier du Ver Galant. « On y fête les anniversaires de nos enfants, l’été, on fait des barbecues qui rassemblent une cinquantaine de personnes. A chaque récolte, on goûte les fruits ensemble », continue Penda. « Autre champ, c’est cinq ans de vie difficiles à résumer, explique Samuel. Ce sont des histoires de solidarité, de gardes d’enfants partagées, de choses qu’on ne peut ni évaluer, ni quantifier. C’est un enfant guadeloupéen, qui devait venir se faire soigner en métropole, avec qui on a jardiné une année. Des coups de main pour des déménagement. Pour garder les enfants de ceux qui en ont besoin. Ce sont des enfants handicapés qui améliorent leur motricité en travaillant la terre. C’est un groupe Whatsapp qui s’échange toute sorte de coup de main », tente d’expliquer Charles.
Essaimage
Avec l’argent des semis, qu’ils distribuent à prix libre au gré des saisons, la petite communauté s’est d’abord offert une après-midi au jardin des plantes. Puis plus ambitieux, un week-end à Granville, à 55 personnes, avec pour clou du spectacle une excursion en bateau. Le jardin accueille également des projections en plein air l’été, avec des films sur le thème du jardinage toujours. En septembre 2020, Autre champ a organisé la première édition du festival « Plein Champ » qui a eu lieu en septembre, autour de la question des terres et des luttes locales, de l’urgence climatique dans les quartiers populaires, ou encore du rôle de la terre dans le soin. Malgré les incertitudes liées au confinement et le mauvais temps, 300 personnes ont répondu à leur invitation.
Pour Samuel et Charles, les fruits du jardin ont le goût de la victoire.. » On voulait créer les conditions pour que les habitants s’approprient cet espace. Produire absolument, on s’en fichait, c’était un prétexte pour créer du lien social. On a organisé, avec des habitants qui n’en avaient pas forcément l’habitude, des réunions collectives avec un ordre du jour, des comptes-rendus…Au début, il y a eu beaucoup de turn-over, puis un noyau d’une vingtaine de personne s’est solidifié ». Les habitants du Vert Galant ont créé leur propre association, et les deux jardiniers comptent bientôt leur transmettre les clés de leur jardin partagé, pour aller essaimer ailleurs, pas très loin, sur deux parcelles mitoyennes débloquées par le Conseil Départemental. Le rêve de Charles est d’y creuser une mare, d’y installer un coin bibliothèque, une petite agora… Restent à explorer les infinies possibilités de ce nouveau champ.
Elsa Dupré
Crédits photo: Elsa Dupré