Aïssé N’Diaye, un peu plus qu’une histoire de mode…
Avec sa marque de vêtements Afrikanista, la trentenaire grandie à Clichy-sous-Bois rend hommage au patrimoine de l’immigration africaine. Un héritage que l’entrepreneuse et ambassadrice du IN voudrait mieux expliquer à la jeune génération grandie en Seine-Saint-Denis. Portrait.
S’il est une femme qui sait ce qu’est l’entreprenariat au quotidien, c’est bien Aissé N’Diaye, fondatrice en 2014 d’Afrikanista, marque de vêtements distribués en ligne mais aussi à l’international à New York, Accra au Ghana, Dakar au Sénégal et à Lausanne en Suisse. « A part, mon attachée de presse qui gère les relations publiques de la marque, je suis toute seule pour créer les collections, gérer le service après-vente, préparer et envoyer les colis. Et puis, je gère aussi mes réseaux sociaux et j’organise mes propres évènements lorsque je fais des pop-up stores ponctuels », raconte la nouvelle ambassadrice du In Seine-Saint-Denis. Évidemment et heureusement pour sa santé, ce n’est pas elle qui coud ses modèles réalisés au sein « d’un petit atelier de confection parisien. »
Mais, ça fait déjà beaucoup pour une seule femme, et Aissé N’Diaye sera donc une interlocutrice tout indiquée pour intervenir le 9 mars lors du 2ème Positive Talk 100% digital organisé par Positive Planet France sur le thème « l’entrepreneuriat, moyen d’émancipation des femmes dans les quartiers ? »
Une question qui résume un peu son parcours. Ainée d’une famille de quatorze enfants, elle grandit entre Paris et Clichy-sous-Bois où elle passe son adolescence, obtient un bac pro commerce et rentre directement dans la vie active. D’abord comme auxiliaire de vie, puis en intégrant une grande enseigne de mode où elle sera vendeuse, puis « visual merchandiser » pendant un peu plus d’une dizaine d’années.
Le coup de boost de Beyoncé
Et puis, en 2014, Afrikanista s’empare de sa vie, comme une sorte de réminiscence de son enfance passée à accompagner son père manutentionnaire dans une société de confection et de ventes d’articles dégriffés à Paris : « J’allais souvent le voir au travail, je passais beaucoup de temps dans l’atelier et puis ma mère était très coquette. Ça m’a surement influencée », dit-elle.
C’est peut-être ce qu’on découvrira dans sa « collection d’inspiration 100 % féminine », présentée en digital en mai prochain. Mais, chut, elle ne « peut pas en dire plus pour le moment… » Quelques journées et pas mal de nuits de préparation bien intenses en perspective qui lui font dire :
« Ce n’est pas du tout évident de se lancer dans l’entreprenariat quand on se commence toute seule comme moi et qu’on doit apprendre sur le tas. On se construit plus ou moins au petit bonheur la chance et au gré de différentes rencontres pour gagner en visibilité. »
Dans ce domaine, elle tape vraiment dans le mille lorsque la pop-star et icône afro-féministe Beyoncé s’affiche en décembre 2018 avec l’une de ses créations. « Pour Afrikanista, ça a été subitement un énorme buzz, puisqu’en dehors des parutions dans la presse féminine et people française, j’ai eu beaucoup de retombées dans les médias américains », se souvient Aissé N’Diaye.
Photos vintage et proverbes africains
Reste que l’effet de boost passé, il faut encore se retrousser les manches : « Je n’ai effectivement pas le temps de me reposer sur mes lauriers, sourit la trentenaire désormais audonienne, parce que mon objectif reste d’ouvrir ma propre boutique. Mais, avec la crise sanitaire, le moment n’est pas vraiment opportun pour le faire… ».
L’objectif en 2021 sera donc de faire prospérer sa petite entreprise via le digital et de mieux faire connaître Afrikanista, une marque qui rend « hommage à mes parents, mais aussi à tous ces hommes et ces femmes issues de la deuxième génération d’immigrés arrivés en France dans les années 60-70. » Photos de familles africaines vintage et proverbes africains sont ainsi les basiques qui habillent ces différentes collections.
Surtout, elle n’hésite pas néanmoins à faire passer des messages très directs comme lorsqu’en 2015, elle affiche en grand le slogan « Liberté, égalité, affaire de papiers » sur ses créations. « Une manière, commente-t-elle, de mettre le doigt sur le fait que les personnes issues de l’immigration ne sont souvent considérées que comme des Français de papier. »
Un projet entre mode et histoire…
Un constat qui la pousse à vouloir s’investir du côté de Clichy-sous-Bois et de cette Seine-Saint-Denis où habitent toujours ses parents : « Au-delà des clichés qu’on peut lui accoler, le 93 est un département où il y a un vivier de créatifs qu’on ne met pas forcément en avant, un vrai réservoir de talents qui gagnerait à être visibilisé en termes de créations ou d’initiatives. C’est donc important de donner à la jeunesse des modèles de personnes qui ont réussi, su monter des entreprises. Il y a une jeunesse qui a envie d’être valorisée et qui peut raconter la Seine-Saint-Denis avec une certaine poésie, mais aussi une dimension sociale et économique très positive. » Un vrai projet d’ambassadrice du In sur laquelle elle phosphore en ce moment :
« Mon ambition avec Afrikanista, c’est aussi de travailler avec les jeunes de Seine-Saint-Denis, de raconter l’histoire de l’immigration en banlieue parisienne aux jeunes des quartiers populaires en m’appuyant sur la mode. C’est une idée qui me trotte dans la tête depuis longtemps… »
Son 8 mars à elle…
« Cette journée pour les droits des femmes compte vraiment pour moi et je trouve d’ailleurs, de manière générale, qu’elle n’est pas assez célébrée. En tout cas, de mon côté avec ma marque Afrikanista, j’en profite pour faire, autour du 8 mars, un focus sur des femmes qui m’inspirent sur mes réseaux sociaux. Parmi celles-ci, il y a d’abord ma mère qui m’a justement inspiré la création de ma marque, mais aussi des femmes comme la militante américaine des droits humains Angela Davis, la chanteuse Beyoncé, la réalisatrice, documentariste et militante féministe Rokhaya Diallo ou encore l’écrivaine nigérianne Chimamanda Ngozi Adichie. Chacune à leur manière représente à mes yeux des figures incontournables de l’empowerment au féminin. »
Frédéric Haxo