Alain Garnier et Jamespot, une alternative In Seine-Saint-Denis aux GAFAM
Membre de la première promotion de l’accélérateur Seine-Saint-Denis mis en œuvre par BPI-France, cet entrepreneur spécialiste des réseaux sociaux d’entreprises installé à Montreuil milite et s’active pour que la France et l’Europe soient en mesure de garantir leur souveraineté technologique. Portrait d’une des figures de la French Tech.
La soif d’apprendre ne s’éteint pas forcément avec les années. Alain Garnier, fondateur de Jamespot , société spécialiste des réseaux sociaux d’entreprises en est l’exemple parfait.
« J’ai beau avoir beaucoup d’expérience dans le domaine de l’entreprise, j’ai dit banco lorsque j’ai eu l’opportunité d’intégrer l’accélérateur Seine-Saint-Denis de BPI-France– lire ci-dessous-, raconte-t-il. C’est un état d’esprit d’intégrer un accélérateur, ça permet de se comparer même si on n’évolue pas forcément dans la même sphère d’activités.
En fait, on s’inspire des parcours des uns et des autres et de leurs façons de travailler ou de développer leurs entreprises. Et puis, au fil de mon parcours, j’ai appris que les boites qui ont le plus de réussite et le plus de plaisir à faire rebondir un projet sont celles qui sont très connectés à leurs pairs et bénéficient aussi d’avis d’experts pour avancer. » Pourtant, dans la catégorie des experts de l’informatique et du numérique, ce Montreuillois grandi dans le Poitou en impose tout autant. Avant de s’engager dans une formation d’ingénieur spécialisé dans le numérique, il a 15 ans au mitan des années 80 lorsqu’il crée ses deux premiers logiciels : l’un pour la gestion des stocks du magasin de chaussures de sa mère et l’autre pour gérer la comptabilité d’une exploitation agricole d’un ami de ses parents. « Je grattais des cages à lapins la journée avant de coder mes programmes le soir », sourit-il à l’évocation de ce lointain souvenir.
Du cousu-main numérique
La page poitevine tournée, il débarque à Paris et bientôt à Montreuil, encore aujourd’hui son point d’attache professionnel et familial. « Je suis un provincial arrivé en Ile-de-France pour les études et le travail et je n’avais pas forcément une image très extraordinaire de la banlieue et du 9-3 en arrivant en région parisienne. Mais, je me suis installé à Montreuil en 1999 pour retrouver un peu d’espace et d’herbe et je n’ai eu depuis qu’à louer mon installation en Seine-Saint-Denis. Tout simplement parce que Montreuil amène quelque chose de vivant, de moderne, de créatif et même d’un peu foutraque au cœur du Grand Paris.
C’est la même chose côté professionnel : il y a quinze ans, on me regardait un peu de travers parce que je n’avais pas situé ma boîte dans les beaux quartiers de Paris, alors qu’aujourd’hui on commence à m’envier. Il y a eu un basculement très net en quelques années : la Seine-Saint-Denis a développé en peu de temps une vraie fierté. »
Un côté précurseur et fonceur cultivé également tout au long de son parcours professionnel qui n’a rien de ronronnant…
A 26 ans, Alain Garnier s’associe pour créer une première entreprise Arisem, précurseur de l’intelligence artificielle qui sera revendue, sept ans plus tard, au géant de l’électronique Thalès alors qu’elle a atteint son rythme de croisière et emploie une centaine de personnes. Suivra ensuite Evalimage, spécialiste de l’analyse de l’e-reputation, prestement revendue. Et puis, en 2005, c’est le début de Jamespot, devenu 15 ans plus tard le leader sur le marché des plateformes collaboratives (réseau social d’entreprise, Intranet/Extranet, Digital Workplace). « En gros, et on l’a bien vu au moment du confinement, nos outils permettent de remplacer ce qu’est un bureau de manière virtuelle, avec une centaine d’applications qui rendent des services différents selon les tâches à accomplir à un moment donné dans une entreprise. » Une sorte de cousu-main du numérique qui compte 31 salariés en 2021, avec près 25 % de croissance et plus de 3 millions de chiffre d’affaires affiché lors du dernier exercice fiscal.
Un combat d’envergure
Et des clients aussi divers que Renault, BNP Paribas ou l’Assurance Maladie. « Notre force, c’est de ne rien imposer, expose Alain Garnier, aujourd’hui directeur général de l’entreprise qu’il a fondé. Nos clients peuvent prendre Jamespot pour le paramétrer et l’adapter à leur activité. C’est notre grande différence avec les grandes suites des géants américains de l’informatique. Pour prendre une image parlante, avec Jamespot, on pense que dans le numérique, tout le monde ne veut pas avoir les mêmes meubles et les mêmes tableaux. Donc nous développons des outils qui ressemblent à nos clients et qui sont adaptés à leur phase de développement. »
Un credo qui l’a amené au printemps dernier à être l’un des premiers signataires d’un appel « pour une souveraineté et une sécurité numérique immédiate » et à initier le collectif PlayFrance.digital qui référence 300 entreprises du numérique français, éditeurs de solutions et plateformes. Défenseur d’une « préférence européenne en matière numérique », le collectif demande que « 50% des investissements numériques du secteur public soient au minimum consacrés à des solutions européennes, dont la moitié auprès de PME. » Car, explique l’appel, « la crise du Covid-19 nous a montré avec une acuité dramatique notre dépendance à l’industrie chinoise : masques, médicaments, respirateurs… autant de produits indispensables que nous ne savons plus produire suffisamment en local et qui posent un problème grave en temps de restriction. La situation est la même dans le numérique. Notre dépendance – cette fois-ci aux Etats-Unis – est colossale. Que ce soit dans la sphère privée pour les moyens de communication ou encore pour les entreprises dans leur fonctionnement. Nous sommes dans une situation de dépendance totale aux plateformes globales qu’on regroupe sous les acronymes GAFAM & NATU (1). »
En d’autres termes, tonne Alain Garnier, « nous nous sommes laissé endormir par les Américains puisque 76 % du numérique français est aujourd’hui acheté aux Etats-Unis. Un chiffre colossal qui ferait hurler dans d’autres secteurs comme la culture. Moi, j’ai été vent debout en 2015 sur le fait que le Ministère de l’Éducation Nationale ait laissé Microsoft s’installer dans nos écoles et signé des accords pour que nos enfants consomment du Microsoft gratuitement dès le plus jeune âge. Le problème, c’est que lorsque c’est gratuit, vous devenez le produit… »
Conclusion, le combat vers l’émancipation numérique est d’envergure, mais il parait qu’impossible n’est pas Montreuillois…
Frédéric Haxo
Crédits photo: Bruno Lévy, Jamespot
(1) Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM) ; Netflix, Air BNB, Tesla et Uber (NATU).