Berthet One, le street-artiste qui coche toutes les cases…

Berthet One, le street-artiste qui coche toutes les cases…

Le Courneuvien Berthet One s’est fait connaitre en 2010 en racontant son passage par la case prison dans les bulles d’une BD. Depuis, il est aussi un street-artiste représenté dans les galeries parisiennes. Un itinéraire qui ne l’a pas déconnecté de la Seine-Saint-Denis où il intervient dans les écoles et les prisons avec son association Makadam.  Et bientôt comme juré du concours du Go In Seine-Saint-Denis dédié au hip-hop.  

Dans son immense atelier de Tremblay-en-France, en lisière de l’aéroport de Roissy, le « ronron » des avions à l’atterrissage et au décollage couvre régulièrement le « pschiitt » des bombes de peinture aérosols de Berthet One. Mais, ce n’est pas un souci pour le street-artiste grandi du côté de La Courneuve. Lorsqu’il crée, il plane : « Quand je suis dans mon truc, j’écoute du rap à fond ou de la musique classique, sourit-il. Et ensuite c’est parti ! Surtout, ici à Tremblay, dans cet ancien entrepôt où j’ai de la place, beaucoup de place, ce qui me permet d’avoir une très grande liberté artistique. Je crée ce que j’ai dans la tête et, ensuite, je soumets mes créations aux galeries ou aux réseaux sociaux… »  

Des plus ou moins grands formats en mode street-art -où figure toujours un « petit Berthet, ma marque de fabrique, mon avatar », glisse l’artiste – qui ont même aujourd’hui quitté les murs de la ville et de la banlieue pour rejoindre les cimaises de la prestigieuse Galerie Perahia dans le 6e arrondissement parisien. Même si le quarantenaire grandi à La Courneuve continue d’une certaine façon de faire le mur avec ses « Murets », des reproductions en petit format de palissades en béton où s’exprime son style figuratif et sarcastique, si caractéristique.  

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Premier prix des « Transmurailles » et direction Angoulême

Une technique qu’il a commencé à cultiver presque trente-cinq ans plus tôt, au début des années 90 dans son fief de la Cité des 4000 à La Courneuve : « Mon premier graf’, c’était sur un mur autorisé par la mairie et organisé par Queen Candy, une street-artiste qui a créé le fanzine « The Zulu’s Letter » en France. Je me souviens aussi qu’elle avait fait venir JonOne à La Courneuve, sûrement l’un des street-artistes les plus côtés en ce moment. La petite histoire derrière, c’est que je suis, aujourd’hui, représenté par la même galerie parisienne que lui. C’est ouf ! » 

Ouf et d’autant plus fou que Berthet One, version plus affutée que son patronyme à l’état civil -Berthet Mahouahoua- a pris quelques chemins détournés pour en arriver là… 

Pour faire court, même si ça lui a paru très long, quelques mauvaises rencontres font que le gamin de la cité des 4000 écope en 2006 de dix ans de réclusion pour un braquage à Versailles. Le voilà sommé par la justice de passer par la case prison qu’il quitte néanmoins en 2010, libéré en conditionnelle. Quelques mois plus tôt, il a en effet remporté le premier prix des « Transmurailles », un concours annuel de bandes dessinées réservé aux personnes en détention qui lui ouvre les portes du Festival international de la BD d’Angoulême. « Le déclic », dit-il aujourd’hui.  

Sur le chemin du dessinateur Cabu

Fini l’appât de l’argent « facile » qui a poussé ce fils d’une secrétaire et d’un statisticien du Ministère des Transports sur de très escarpés « chemins de traverse. » Berthet One reprend le fil d’une vie où la case prison est remplacée par les cases d’une première BD éditée en 2010 et intitulée « L’évasion », suivie en 2015 d’un tome II qui raconte son retour à la vie civile et malicieusement sous-titré « Vive la liberthet ». Cette fois pour l’actuel ambassadeur du In Seine-Saint-Denis, c’est le moment de basculer dans l’univers des bonnes rencontres, celles qui construisent un autre destin.  

Mis en relation par une chroniqueuse judiciaire du Canard Enchaîné, qu’il a bluffée lors d’un colloque consacré à la prison, il croise la route de Cabu, le dessinateur de Charlie Hebdo ou du Canard Enchaîné. « Mais aussi mon idole de jeunesse parce que je le regardais à la télé lorsqu’il dessinait pour le Club Dorothée », sourit l’ex- « caïd » des cités. Et puis, au début, je m’exerçais en copiant ses dessins. Quand je l’ai rencontré, il m’a donné de précieux conseils. Sa disparition brutale a été un choc », dit-il à propos du caricaturiste, père du personnage du « Grand Duduche », décédé en 2015 lors de l’attentat parisien contre Charlie Hebdo.   

Une manière de prendre les plus jeunes sous son aile que Berthet One perpétue aujourd’hui à travers son association « Makadam » installée à Saint-Denis et qui intervient un jour dans les écoles de Seine-Saint-Denis, un autre dans les prisons des Antilles. « A chaque fois, avec des jeunes ou des moins jeunes, j’utilise la BD pour leur apprendre à parler d’eux, à raconter leur histoire, explique le Courneuvien. Un exercice toujours compliqué mais la bande dessinée et l’humour permettent de rendre les choses plus légères. A travers ces ateliers, c’est une manière de montrer que l’art peut sauver, que grâce à l’art on peut s’en sortir parce que c’est un éveil de soi, une manière d’ouvrir les yeux sur le monde qui nous entoure. De réaliser certaines choses de la vie aussi. En tout cas, dans les banlieues, on a compris depuis longtemps que le milieu artistique, le rap en particulier mais aussi le graffiti, la danse, permettent de faire beaucoup avec pas grand-chose au départ. » 

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Coup de pouce et main tendue

Voilà aussi pourquoi, Berthet One a naturellement rejoint le jury du prochain concours du Go In -lire notre encadré – consacré cette année au hip-hop : « Mettre en avant mon territoire, d’où je viens et les jeunes de la Seine-Saint-Denis, c’est primordial pour moi. D’abord parce que je reste attaché à ce département, surtout lorsque je croise des jeunes qui me font penser à moi, à leur âge. Et puis, à un moment donné de ma vie, j’ai eu de l’aide, on m’a tendu la main, donc à mon tour, que ce soit avec Makadam ou le In Seine-Saint-Denis, je veux pouvoir aussi redonner un petit coup de pouce. »  

Sans oublier que du haut de ses 48 ans, il amène aussi son histoire personnelle -que le réalisateur et street-artiste Cristobal Diaz projette d’amener sur grand écran- et une expérience de l’univers du hip-hop qui colle parfaitement au quarantenaire de la naissance du mouvement dans l’Hexagone : « Si on réfléchit, les archives du hip-hop, c’est un peu nous, conclut-il. Parce que beaucoup des acteurs de ce mouvement sont des banlieusards, des gens de la Seine-Saint-Denis… » 

Frédéric Haxo
Photos : Bruno Levy

Go In Seine-Denis : il est encore temps de s’inscrire...

Le IN Seine-Saint-Denis et l’association Culture de banlieue ont lancé, le 15 mai dernier, le concours « Go In Seine-Saint-Denis » sur le thème du hip-hop afin de célébrer les 40 ans de cet art en France. Un concours en mode freestyle puisque les candidats sont invités à soumettre leurs propositions artistiques sous n’importe quelle forme (vidéo, écrit, croquis…). L’objectif : révéler les talents émergents de la culture hip-hop In Seine-Saint-Denis et ensuite les accompagner. Alors à vous de jouer puisque les candidatures sont ouvertes jusqu’au 30 juin 2024 et pour en savoir plus, ça se passe par ici !