Seine-Saint-Denis: territoire pionnier de la fleur locale qui tisse des liens par-delà le périphérique

Seine-Saint-Denis: territoire pionnier de la fleur locale qui tisse des liens par-delà le périphérique

Partout la fleur locale et de saison gagne du terrain, esquissant un modèle horticole plus responsable. En la matière, la Seine-Saint-Denis et Paris sont une terre de pionniers. Rencontre avec Stéphane Berdoulet, co-directeur de l’association Halage, producteur de fleurs locales à l’Île-Saint-Denis et Mathilde Bignon, co-fondatrice du café-fleuriste Désirée à Paris.

Les projets d’Halage à l’Île-Saint-Denis et de Désirée à Paris, semblent nés d’une même indignation face au monde ultra polluant de la fleur …

Stéphane Berdoulet : Au départ notre indignation était double : le chômage et la nature maltraitée en Seine-Saint-Denis. Notre raison d’être étant l’insertion par l’emploi via des services d’aménagement des espaces verts, en 2018 la question de faire l’agriculture urbaine s’est posée. Sur nos sites pollués, on a vite compris que ce n’était pas possible. C’est là qu’est née l’idée de cultiver des fleurs. On a alors découvert l’absurdité du monde de la fleur puisque 85% d’entre elles sont importés de l’autre bout du monde ! Alors que les horticulteurs ici disparaissent un à un…

Mathilde Bignon :  Quand on a commencé à s’intéresser aux fleurs, on s’est demandé d’où elles venaient. En découvrant l’état de dégradation de la filière française on a réalisé qu’il fallait faire quelque chose. Beaucoup pensent encore que les fleurs c’est local parce que c’est frais, c’est coupé. On n’imagine pas que ça puisse être autant transporté ! L’objectif de Désirée est de faire une révolution, en revenant à une production plus en lien avec les distributeurs locaux. On veut bousculer l’ordre établi dans lequel on est tous très tranquille à l’idée de chauffer des serres qui consomment une énergie folle et d’importer des fleurs de très loin en les transportant par avions réfrigérés.

Les lignes commencent-elles à bouger ?

SB : Halage est aujourd’hui le plus gros producteur de fleurs du Grand Paris. Le projet a fait la preuve du concept. La production de fleurs est devenue très pertinente par sa forte valeur économique mais aussi sa valeur d’insertion, car elle permet de révéler des savoirs traditionnels souvent peu visibles. La route est longue mais on participe à une narration aux cotés de fleuristes engagés comme Désirée qui commence à être entendue. Le problème reste de produire en quantité suffisante et dans les standards attendus. C’est pourquoi je me réjouis de voir des projets naitre comme à Marseille ou ailleurs, car plus on sera nombreux, plus on pourra convaincre.

MB : Au début, les clients venaient pour des fleurs, cinq ans plus tard ils viennent parce qu’on fait attention à leur provenance. Du chemin reste à parcourir mais le discours de nos clients évolue. Nos producteurs aussi commencent à changer. Halage est l’un de nos fournisseurs bien sûr mais on travaille aussi sur la partie formation. On voit de plus en plus de gens se lancer dans la démarche. Et il y a de plus en plus de dialogue, le Collectif de la fleur française en est la preuve. On a par exemple beaucoup échangé avec le café-fleuriste la Butinerie à Marseille avant son lancement. On a tout intérêt à partager nos savoirs pour être plus efficace et réussir à se faire une place sur nos marchés. Il n’y pas de solution toute faite pour refonder la filière, mais on veut participer à son réensemencement.

Quel défi vous semble prioritaire pour avancer ?

SB: On se heurte à un manque de compétences d’autant qu’aucune politique volontariste n’a été menée. Halage se développe non pas en grossissant mais en transférant ses savoirs. Le monde de la fleur et celui de l’insertion doivent dialoguer davantage. Il faut une démarche collective de compétences dans la fleur, il y a un boulevard…

M.B: Il n’y a plus de formation sur la fleur coupée. C’est un obstacle majeur pour une filière qui n’est pas du tout structurée. Chacun est dans son coin et suit ses propres méthodes. Beaucoup travaillent encore la fleur comme n’importe quel produit manufacturé. On commande, on reçoit, sans se demander où et comment ça pousse. Tout l’enjeu de Désirée est d’essayer de remettre en lien la production, l’art floral et les clients pour permettre une prise de conscience.

 

Propos recueillis par Anne-Sophie Lebon

crédits photo: Bruno Lévy, Désiré et le In Seine-Saint-Denis