Wendy Sama, photographe magnétique…

Wendy Sama, photographe magnétique…

Rencontre avec la lauréate de la 5e édition du concours photographique Territoire(s) organisé par la MC93 et le In Seine-Saint-Denis. Une trentenaire qui pense ses photos avec un soupçon de magnétisme. Au propre comme au figuré…

A peine est-elle désignée lauréate de l’édition 2024 du concours photographique Territoire(s) In Seine-Saint-Denis, le 21 mai dernier, que Wendy Sama a déjà l’œil de l’artiste et de la photographe qui « scanne » le hall de la MC93 à Bobigny. C’est là, qu’en décembre prochain, elle installera une exposition qui n’est encore qu’un projet mais a franchement convaincu le jury de professionnels d’un concours dont l’ambition affichée pour sa cinquième édition était de « porter un regard singulier sur le territoire et ses habitant.es et le traduire en photographie. » 

Ce que la trentenaire, née en 1990 à l’est du département sur les hauteurs de Neuilly-sur-Marne, va donc s’appliquer à faire ces prochains mois. Ou plutôt continuer à entreprendre puisque le projet photographique de cette autodidacte de la prise de vues mûrit déjà depuis quelques années : « Il est dans mes tiroirs depuis trois ou quatre ans, raconte la jeune femme aux longues tresses et au sourire qui semble éternel. Je l’ai d’ailleurs déjà créé en version numérique. Mais, désormais grâce au soutien de Territoire(s), je vais pouvoir le recréer physiquement et c’est très important pour moi. » 

Révéler une esthétique silencieuse

Important voire essentiel. Mais pas seulement pour elle : « Ce que je veux, poursuit la photographe grandie également du côté de Neuilly-sur-Marne, c’est capturer des lieux de nature, des parcs de Seine-Saint-Denis, que me feront découvrir différentes personnes. Et puis, surtout, je veux représenter l’aspect convivial de ces parcs : des lieux où on se pose et où on n’est pas obligés d’aller d’un point A à un point B. En saisissant les aspects les plus contemplatifs de la Seine-Saint-Denis, je cherche aussi à créer un contraste avec les représentations habituelles de l’urbanité axées sur l’activité et le dynamisme. En fait, j’aimerais faire ressortir comment un lieu nous habite, donne naissance à un espace ayant sa propre essence. Les espaces verts ou les parcs, souvent perçus comme de simples lieux de fonctionnalité, tels qu’une balançoire ou une cage de foot, pourraient être mis en avant pour leur effet psychologique à travers une esthétique silencieuse. » 

Un esthétisme revendiqué qu’elle devrait corser d’une touche d’imprévu parce qu’elle imagine déjà que les photos de sa future série exposée à la MC93 pourront être recomposés par un subtil jeu de puzzle où il s’agira pour les sujets des photos de se saisir d’un morceau du cliché pour le placer à un nouvel endroit suggéré par leur imaginaire. « Il y aura des aimants magnétiques derrière les photos, pense déjà l’artiste. Mais, il faut que je me penche un peu plus sur la question. C’est assez complexe… » 

Complexité et perplexité...

Complexe, c’est ce que « pensent mes parents de moi, rebondit-t-elle en riant. Même s’ils me soutiennent dans mes choix, ils ont parfois du mal à me suivre. Enfin, surtout mon père. Disons qu’il aurait préféré que je fasse quelque chose de plus terre-à-terre », ajoute-elle encore à propos de son paternel, agent de la fonction publique territoriale.Elle est pourtant restée les pieds solidement ancrés au sol de la réalité, pendant quelques années après ses études de graphisme.

Avant de « s’envoler » à nouveau : « Comme je m’étais persuadée que pour exister dans ce milieu en tant qu’artiste, il me fallait travailler dans tout ce qui était commercial, le luxe précisément, j’ai commencé par-là en publiant des photos dans le magazine Vogue ou en faisant des photos pour Chanel…  Mais, je me suis assez vite aperçue que ce travail ne me permettait pas de développer une vision plus politique de mon art. » 

La photographie comme manifeste

Alors, à côté de ses activités de graphiste, elle remet ses appareils en bandoulière pour aller vers des projets plus personnels et donc beaucoup moins commerciaux. Une manière aussi d’exprimer par l’image ce qui l’a, en partie, construite au cours de ses premières années neuilléennes : « Si j’ai eu une enfance assez classique, confie-t-elle, elle s’est aussi faite dans la confrontation.

Dans mon collège (Georges-Braque à Neuilly-sur-Marne classé en zone d’éducation prioritaire), je me suis aperçue que nous, les enfants de Seine-Saint-Denis, n’avions pas forcément les mêmes chances que les autres, et surtout les mêmes attentes. Si l’appétence que j’avais pour l’art n’était pas partagée par mes camarades, c’est surtout parce qu’on nous rabâchait qu’on devait apprendre la culture alors qu’en fait nous devons la créer. Nous sommes des créateurs de culture ! C’est pour cela que l‘expo que je projette dans le hall de la MC93 ne sera pas seulement une série de photos : je voudrais qu’un enfant, comme un adulte puisse recréer sa propre œuvre à partir de la mienne… » 

Un beau manifeste pour la Maison de la Culture du 93.  

« Major » de promo...

Lauréate de la cinquième édition de Territoire(s) Wendy Sama reçoit un prix de 2 500€ et bénéficiera d’un accompagnement de six mois par Raphaële Bertho, historienne de la photographie et commissaire de sa future exposition dans les murs de la MC93. Avec l’ambition « d’accompagner et d’encourager l’émergence de talents », le Département et la MC93 ont également décidé de renouveler, l’expérience d’une « promotion Territoire(s) » qui sera donc composée de huit photographes en plus de la lauréate : Luccia Anyomi, Julie Bornand, Virginie Bouilhac, Céline Claret, Maelle Diarra, Mamadou Dramé, Sara Jakubowicz et Florian Schmitt. A la clé pour chacun d’entre eux : un parcours de rencontres et d’échanges avec des professionnel·le·s de la culture et de la photographie de Seine-Saint-Denis et de la Métropole du Grand Paris.  

Wendy Sama vue par Alexia Fiasco, la lauréate de Territoire(s) 2023

« Le projet de photo de Wendy Sama, c’est de mettre au service de la Seine-Saint-Denis et de ses habitants une très belle technique de photographie qu’elle a d’abord expérimentée dans le milieu de la mode. Mais, le questionnement sur son travail dans ce milieu et son utilité sociale l’a fait bifurquer sur son itinéraire de carrière : ce qui est finalement une chance parce qu’elle va désormais utiliser son regard artistique pour sublimer notre territoire. » 

 

Frédéric Haxo

Crédits photos : Bruno Levy